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Limbourg, les duchés de Clèves et de Juliers, et même les Provinces-Unies. Cette politique fut reprise par Richelieu et Mazarin. À l’époque où s’ouvrirent les négociations de Munster, de nombreux écrits furent publiés en France pour démontrer que les terres de l’ancien royaume d’Austrasie, dont la Lorraine n’était qu’un débris, étaient appelées à tort « terres d’empire, » et devaient revenir à l’agglomération gauloise, dont elles avaient à l’origine fait partie. On sait le reste, et comment, par les divers traités conclus sous la régence de Mazarin et sous Louis XIV, la France s’avança d’un pas formidable vers ses frontières naturelles de l’est et du nord ; on sait aussi comment, un siècle plus tard, à la suite des victoires remportées par les armées républicaines, le Rhin fut solennellement reconnu comme limite « de l’endroit où il sort du territoire helvétique jusqu’à celui où il entre sur le territoire batave. » Cet état de choses dura vingt ans. La monstrueuse politique de guerre du premier empire aboutit aux traités de 1815, qui ont détaché de la France toute l’ancienne Austrasie, sauf l’Alsace et la Lorraine ducale, ouvert la trouée de Belfort, isolé Metz de Strasbourg, et livré d’avance à l’étranger les trois grandes routes de Paris par les vallées de l’Oise, de la Seine et de la Marne. Cinquante-cinq ans se sont écoulés depuis lors, et notre pays, loin d’avoir recouvré ses limites celtiques, romaines et franques, sans lesquelles la France, suivant le mot de M. de Ronald, « n’est pas finie et ne saui-ait être stable, » a subi un nouveau démembrement, plein de périls et de douleurs ; elle est aujourd’hui plus loin que jamais de posséder ce « pré carré » dont Vauban parlait à Louis XIV. Une autre portion de l’ancienne Lotharingie lui a été prise : Strasbourg, la cité romaine, Metz, la capitale religieuse des Pépin et des Charles, sont redevenues « terres d’empire. » Oserait-on dire que la revanche du monde germanique est définitive, quand du récit même des vicissitudes subies depuis mille ans par l’antique contrée rhénane ressort si visiblement la profonde instabilité de tout ce que crée la force brutale ?

Jules Gourdault.