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— Oui.

— Quand reviendras-tu ?

Il l’embrassa de nouveau, la posa debout sur un fauteuil et sortit. Les grelots des chevaux de poste tintaient dans la cour. Mme de Villepreux, qui était debout devant la cheminée, s’avança rapidement vers une fenêtre, en écarta le rideau, et colla son front contre la vitre. Elle était fort pâle, ses lèvres tremblaient un peu ; quand les quatre chevaux qui grattaient la neige du pied partirent au galop enlevés par le fouet du postillon qui venait de leur rendre la bride, elle chancela ; puis, ne voyant dans la nuit que les deux lanternes de la voiture qui faisaient courir des clartés rouges dans la profondeur des avenues, elle se traîna vers un fauteuil, et s’y laissa tomber comme morte. Gilberte se précipita vers elle avec un grand cri, et l’entoura de ses bras. — Ce n’est rien, murmura Mme de Villepreux… Va, mon enfant, va !

Elle se leva, et fit quelques pas. Soudain elle porta un mouchoir à sa bouche, changea de visage et tomba raide. Gilberte sauta sur elle ; on accourut, et on trouva l’enfant cramponnée au cou de sa mère, criant et sanglotant. — Qu’as-tu ? disait-elle, parle, tu me fais peur ! Es-tu morte ?…

Malgré l’anéantissement de tout son être, on voyait sur les traits décomposés de Mme de Villepreux les efforts qu’elle faisait pour reprendre l’usage de ses sens. Son cœur entendait sa fille plus que ses oreilles. Enfin ouvrant les yeux et dénouant les bras de Gilberte :

— Voyons ! es-tu folle ?… Morte du premier coup !… moi !… Et l’embrassant avec un mélange d’amertume et de résignation :

— Je souffre, donc je vis,… tais-toi ! Puis, se dressant, elle lui indiqua la porte du doigt. Gilberte, qui avait l’habitude de la soumission, s’éloigna ; mais elle avait le cœur serré, et, malgré l’insouciance naturelle à son âge, elle resta quelque temps à rôder dans le corridor sombre, étouffant ses pas et retenant son souffle. Quand elle fut rappelée pour l’heure du dîner, elle retrouva sa mère debout contre la même fenêtre, les mains pendantes, le front collé à la même vitre, le regard perdu dans le vide. On voyait sur le tapis de neige, que la lumière blanche de la lune rendait plus éclatant, les rayures tracées par les roues de la calèche qui avait emporté M. de Villepreux. Gilberte s’approcha doucement, et prit l’une des mains de sa mère. Mme de Villepreux, qui n’avait rien entendu, tressaillit, et, se retournant, lui fit voir un visage qui avait la pâleur du marbre.

Le lendemain, dans la matinée, une voiture s’arrêta devant le perron de La Marnière. Tandis que Gilberte s’agitait tout autour, deux domestiques eurent bientôt fait de la charger de malles et de caisses. Mme de Villepreux parut. Elle avait les yeux rouges et le