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l’histoire, de la géographie, de la science, elles passaient à la lingerie, à l’office, à la cuisine même. Rien n’était négligé de ce que doit connaître une maîtresse de maison à qui revient le gouvernement des choses intérieures. On voyait tour à tour les personnes placées sous la direction de Mme Dittmer quitter le livre pour l’aiguille et les pures spéculations de la philosophie pour la visite des armoires et les additions des livres de comptes. Les plus âgées, et chacune à son tour, prenaient en main la surveillance et l’administration du pensionnat. La semaine terminée, elles rendaient compte de leur gestion à la directrice, qui leur en faisait remarquer les parties défectueuses ou les complimentait. Elles distribuaient le linge et les provisions. Elles passaient des jours et des nuits à l’infirmerie et prenaient ainsi des notions exactes sur les conditions de la vie quotidienne en même temps que l’habitude des choses essentielles. Le but de cette institution était de faire à la fois des mères de famille et des femmes du monde.

Il y avait à Niederbrulhe, on le comprend, un grand nombre de jeunes Allemandes, et parmi elles des Françaises et des Anglaises, pour qui leurs parens réclamaient les avantages de cette solide éducation. Il était d’usage chez Mme Dittmer que l’une de ces trois langues y fût parlée exclusivement pendant un an. Les leçons spéciales restaient en dehors. Cette méthode sévère forçait les enfans à une attention constante, et enfonçait en quelque sorte la connaissance de ces langues dans leur esprit, comme des coups répétés enfoncent un clou dans du bois. Une première année écoulée, Gilberte, qui parlait l’allemand avec ses petites camarades, eût été fort surprise, si on lui avait rappelé qu’elle n’en savait pas un seul mot quand elle était arrivée à Niederbrulhe. À quinze ans, elle était encore chez Mme Dittmer, et avait acquis dans la pratique journalière des occupations les plus diverses une maturité de jugement fort rare chez une fillette de son âge. On s’en étonnait quand elle reparaissait à La Marnière, où chaque année le mois de septembre la ramenait.

Elle y retrouvait sa mère toujours pâle, grave et silencieuse. Du bout de l’avenue, elle l’apercevait sur le haut du perron, immobile, vêtue d’une robe noire qui dessinait sa taille svelte, les mains croisées et pendantes, et pareille à une statue. D’un bond, Gilberte se jetait de la voiture dans ses bras. Toutes deux étouffaient. La première heure était donnée à l’effusion. Le cœur de Mme de Villepreux, qui ne pouvait parler, battait à se rompre, puis, cette explosion de tendresse apaisée, elle rentrait dans l’austérité de ses habitudes. Gilberte avait bientôt fait de renouer connaissance avec les petites amies qu’elle avait laissées aux environs de La Marnière ; mais