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— Je le crois aussi, répliqua-t-elle tranquillement.

Un matin, après une longue entrevue avec un homme de loi qui était arrivé la veille de Paris, Mme de Villepreux manda Gilberte auprès d’elle. — Ma chère fille, lui dit-elle, j’ai à te parler d’affaires sérieuses. Tu sais que j’ai accepté la succession de ton père telle qu’elle se présentait. Un hasard a voulu qu’une entreprise dans laquelle il avait aventuré sa signature, et qui m’a coûté bien des soucis, a fini par donner des résultats sur lesquels personne ne comptait. Aujourd’hui te voilà riche.

— Eh bien ?

— Tu es riche et tu as dix-neuf ans. Le moment est venu, ce me semble, de penser à ton établissement.

— Ne s’agit-il que d’y penser, ma mère ?

— Oui.

— Alors j’y penserai.

— Je t’avertis seulement que de mon côté j’y songerai. Des partis se sont présentés.

— Déjà ?

— On sait que tu as pour commencer une dot de quatre cent mille francs bien liquides… Comprends-tu ?

Gilberte parut réfléchir un instant. — Vous paraît-il absolument nécessaire qu’on se marie ? reprit-elle.

— Nécessaire, non,… mais utile, oui, convenable surtout. L’état de vieille fille n’entre pas dans les usages en France comme en Angleterre ; il n’y a pas droit de bourgeoisie. Un certain vernis de ridicule le recouvre.

— C’est bien, je regarderai autour de moi, j’écouterai, et nous déciderons.

Une certaine émotion se cachait sous cette apparente tranquillité. C’était la première fois que la pensée de Gilberte était appelée à se tourner avec suite du côté du mariage. Le mot lui faisait peur. Elle se souvint des conversations qu’elle avait eues avec ses amies de la maison de Mme Dittmer sur ce même sujet, et de la curiosité que toutes éprouvaient lorsqu’une de leurs compagnes revenait au bras d’un jeune homme qui la tutoyait. Les unes regardaient le cachemire qui s’allongeait sur les épaules de la mariée, les autres examinaient le mari à la dérobée, et les entretiens recommençaient. Gilberte se souvenait que, parmi les jeunes femmes qui venaient ainsi leur rendre visite, il en était qui dissimulaient mal une profonde mélancolie, d’autres au contraire avaient le rire aux lèvres et la gaîté dans les yeux, et elle avait remarqué que parmi les premières il fallait presque toujours ranger celles qui se faisaient de la vie, étant à Niederbrulhe, la pensée la plus haute. Pourquoi ?