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sautait en voiture, elle n’aura pas manqué de l’attendre à la station la plus voisine. Or, ma chère, si l’on sait toujours comment ces voyages commencent, on ne sait jamais comment ils finissent !

Tout en parlant, Mme de Varèze n’avait pas quitté des yeux le visage de Gilberte, Elle la vit pressant de ses deux mains avec plus de force le bois du fauteuil auquel s’appuyait son corps. La vieille grand’mère s’approcha d’elle vivement et l’embrassa. — Les hommes sont bêtes, dit-elle ; un mot, et il restait entre nous, et il était heureux. Puis tout à coup, avec l’accent de la plus caressante familiarité : — Que comptes-tu faire à présent ? reprit-elle.

— L’aimer encore, l’aimer toujours, dit Gilberte, qui éclata en sanglots.

Quand elle reparut à La Marnière, son visage portait la trace d’un trouble profond. Sans attendre que sa mère l’eût interrogée, elle lui fit part de ce qui venait de se passer. Une ride creusa le front de Mme de Villepreux. — Je ne peux pas te dire que j’en sois surprise, dit-elle ; faut-il que j’avertisse M. de Vézin ?

Gilberte secoua vivement la tête. — J’ai promis, dit-elle à sa mère, en lui racontant dans ses moindres détails l’entretien à la suite duquel elle avait engagé sa parole à M. de Varèze.

— C’est-à-dire, ma chère fille, que tu as mis ta signature au bas d’un pacte mystérieux qui ne lie que toi. Tu as un grand cœur. Le malheur y trouvera une plus large place pour frapper.

Elle l’attira plus près d’elle, et, passant sa main douce sur ses cheveux, tendrement : — Tu as placé toutes tes espérances sur le cœur d’un homme, reprit-elle d’une voix triste. Tu as bâti sur le sable !


VIII.

Des jours, des semaines s’écoulèrent, puis des mois, sans apporter d’autres nouvelles de René que des lettres courtes et rares où il ne parlait jamais de son retour. Gilberte voyait souvent Mme de Varèze, qui s’attachait de plus en plus à elle. À la manière dont la jeune fille vivait, on n’aurait jamais pu croire qu’un chagrin avait déjà traversé sa vie : c’était le même calme, la même activité ; nul changement dans ses habitudes, dans ses occupations. Quelquefois seulement une pensée semblait la surprendre au milieu d’un travail ; soudain elle restait immobile, les yeux fixés vers la terre, les bras inertes, perdue dans la tristesse d’un souvenir, jusqu’à ce que l’appel d’une voix amie ou une secousse de sa volonté la tirât de cette contemplation intérieure. Vers la fin de l’été, le besoin de suivre un procès qui traînait depuis la mort de M. de Villepreux, et