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cette occulte rivalité. On la vit dès ce moment plus attentive à sa toilette, s’occuper de choses futiles, rechercher ces distractions faciles que Paris prodigue si aisément à ceux qui en aiment les perpétuels retours. Elle s’efforçait innocemment d’y entraîner M. de Varèze avec elle. Elle eût été bien étonnée, si quelqu’un lui avait dit que sa présence seule modifiait le caractère de ces distractions, et que certains plaisirs perdent de leur saveur en perdant de leur perversité.

À cette époque-là, M. de Varèze flottait indécis entre deux fantaisies qui ne lui inspiraient pas plus l’une que l’autre un goût sérieux. C’étaient deux habitudes, et aucune d’elles ne répondait à ses instincts. Mlle Perthuis tournait autour des théâtres ; Mme de Genouillac, à la suite de laquelle René avait abandonné le château de sa grand’mère, avait des prétentions aux belles manières et à la distinction : elle affectait de se croire encore une femme de bonne compagnie.

C’est un des phénomènes les plus singuliers du monde dans lequel vivait René. On n’y est pas sûr des sentimens qu’on affiche, et on s’y ruine pour des passions qu’on n’éprouve pas. L’occasion, l’exemple, la vanité, la sottise, y déterminent les folies. Il serait mensonger de dire de quelqu’un qu’il aime, parce qu’il va jusqu’aux plus extrêmes sacrifices pour une femme. La vérité voudrait qu’on dît plus simplement : il imite. Les extravagances mêmes n’ont pas de racines. Tout y est à fleur d’âme. René descendait la pente comme les autres.


X.

Que faisait Gilberte pendant que René roulait dans ces bas-fonds ? Elle se consumait dans une attente que la continuité des jours rendait plus pénible et plus lourde. Elle voyait encore M. de Varèze, mais à la dérobée, en hâte, et comme un homme qu’une pensée harcèle ou qui semble poursuivi. Elle ne songeait presque plus à lutter. Des pensées amères lui venaient. Vaincue par une rivalité noble, par quelque haute passion, elle eût moins souffert ; mais disputer ce qui restait du cœur de René à des liaisons dont elle devinait les souillures et les hontes, c’est ce qui la navrait. Elle s’affaissa bientôt dans une tristesse inerte où elle n’était plus soutenue que par le sentiment hautain d’une promesse à garder. Tous ses rêves d’autrefois disparaissaient comme des hirondelles dans les brouillards. Le spectacle de cet abattement déchirait Mme de Villepreux. Quand Gilberte la surprenait tournant vers elle des yeux