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vement a prouvé qu’il y avait encore quelque chose dans mon cœur de bon et de sain, puisque c’est entre vos mains que j’ai remis mon espérance suprême. Vous m’avez dit qu’une part de vous m’appartiendrait toujours, et qu’à mon premier appel vous accourriez. J’ai descendu l’abîme, ne m’y laissez pas rouler ! « Depuis l’heure fatale qui m’a chassé de votre présence, la dernière barrière qui me séparait de la chute a été brisée. J’ai marché dans la nuit, prenant pour la liberté ce qui était le plus indigne des esclavages. Je m’en voulais, et je vous en voulais, et j’accroissais sans cesse par de nouvelles folies la distance qui me séparait de votre pardon. Je ne vous raconterai pas ma vie. La sottise en a fait tous les frais, mais aujourd’hui la plus coupable, une sottise après laquelle il n’y a plus de remède, me menace. J’en ai conscience et le sens que je vais y céder, si quelqu’un ne me prête pas l’appui de sa force.

« Je n’ai plus que mon nom, — un nom que vous avez voulu, — défendez-le contre moi-même. Délivrez-moi. J’ai en ce moment le courage d’en appeler à vous ; dans quelques jours peut-être ne l’aurai-je plus. Ne perdez donc pas de temps, si mon souvenir et la parole que j’invoque réveillent encore quelque pitié dans votre âme, venez Gilberte, venez ! J’aurais pu tout vous devoir, je vous devrai mon salut.

« René de Varèze. »

— Le malheureux ! s’écria-t-elle. Sans perdre une minute, Gilberte monta chez sa mère qu’elle avertit de son départ, et donna ordre d’atteler. M. de Porny, à qui elle avait fait part en passant de son projet de se rendre à Paris sur l’heure, lui demanda la permission de l’accompagner, et, sans attendre sa réponse, fit porter une valise dans la voiture.

Malgré l’empire qu’elle avait pris sur elle, Gilberte était en proie à l’agitation la plus vive. Elle prévoyait quelque catastrophe ; mais laquelle ? — C’est fort clair, murmura son compagnon de route qui haussa les épaules, il s’agit de quelque sot mariage !

— La pire de toutes alors ! Vous croyez donc que c’est possible ?

— Il vous l’écrit lui-même.

— C’est vrai, j’ai la tête perdue ; mais, soyez sans crainte, je le sauverai !

— Même au péril de vos jours ?

Gilberte ne répondit pas, et regarda la campagne par la portière du wagon, — Qui croyez-vous que ce puisse être ? reprit-elle brusquement.

— Que sais-je ! mais quelque aventurière assurément. Elle retomba dans son silence avec de petits frissons nerveux qui