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fait à Versailles sous l’inspiration et la surveillance de M. Thiers, et quand la triste nécessité de la guerre civile a forcé notre armée de montrer les qualités qu’elle avait si vite et si bien recouvrées, la France a retrouvé, pour défendre la cause de tous ses départemens attaqués par un seul, et non certes le moins brave, qui s’égarait malgré lui, la France a retrouvé son armée telle qu’elle l’eût souhaitée contre les Prussiens, son armée refaite dans les bivouacs laborieux et intelligens de Versailles, et qu’elle conservera pour les revanches de l’avenir.

M. Thiers aura dans l’histoire deux mérites qui s’accordent et s’accroissent l’un par l’autre, celui d’avoir fait la paix quand la guerre allait achever de détruire la France, et celui d’avoir refait l’armée détruite par la guerre, et de l’avoir refaite pour défendre la paix intérieure, c’est-à-dire l’avenir non-seulement de la France agricole et industrielle, mais de la France militaire elle-même.

Personne ne s’étonnera que, l’armée ayant ici le premier rôle, hélas ! ce soit de l’armée que nous nous soyons d’abord occupé plutôt que de l’assemblée nationale. Quand les événemens priment les discussions, ce n’est point aux assemblées que l’action appartient ; il y a pour les divers ordres de pouvoirs dans un état des temps différens pour agir. Les électeurs du suffrage universel, qui sont le grand pouvoir souverain, ont d’abord agi pour créer l’assemblée nationale. Ensuite la chambre a dû agir pour créer le pouvoir exécutif et pour faire la paix. Le pouvoir exécutif a dû agir avec beaucoup de zèle et d’activité pour gouverner et pour administrer sous le contrôle de l’assemblée, contrôle toujours librement accepté, jamais subi ; il a surtout agi pour refaire et réorganiser l’armée, c’est-à-dire pour avoir, contre les violences de la passion et contre les audaces des partis, une force libératrice. Une fois l’armée réorganisée, c’est elle qui devait agir, et qui doit agir encore. Il y a des gens qui, comprenant mal ce que c’est qu’un gouvernement, et quels sont les différens temps d’agir de ses différens pouvoirs, voudraient que l’assemblée nationale agît toujours, et légiférât toujours. Que fait donc l’assemblée nationale ? disent-ils. Elle ne fait rien ; nous l’avons nommée pour agir. Ces gens-là confondent l’agitation avec l’action. Que voudrait-on par exemple que fît l’assemblée nationale ? Qu’elle s’amusât à renverser des ministres, à contrarier M. Thiers pour constater son indépendance, à faire aujourd’hui des lois qu’elle déferait demain, parce que les événemens contrarieraient les décisions législatives ? Elle a mieux à faire : elle doit examiner les moyens de remettre l’ordre dans l’administration troublée par les désastres et les désordres de la guerre.

Songeons par exemple qu’à côté du demi-milliard que nous avons à payer aux Prussiens pour assurer la libération de nos départemens de la rive droite de la Seine, il y a un autre demi-milliard que réclament je ne sais combien de fournisseurs de tout genre qui ont profité de nos malheurs pour faire des gains frauduleux, qui ont livré à nos soldats