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ches comminatoires. Une première proclamation, signée Guillaume, décrétait la peine de mort non-seulement contre ceux qui attenteraient à la sécurité des militaires et employés allemands, mais contre ceux même qui serviraient l’ennemi en qualité d’espions, ou égareraient les troupes allemandes quand ils seraient chargés de leur servir de guides. Une seconde proclamation abolissait la conscription, une troisième donnait cours forcé à la monnaie allemande, et fixait la valeur du thaler à quatre francs, plus tard à 3 fr. 75. Le prince royal déclarait qu’il s’occupait « de rendre à la nation et spécialement à la ville de Nancy les moyens de circulation interrompus par l’armée française. » Pour faciliter apparemment le retour de la sécurité, les pompiers avaient été dépouillés dès le 14 août de leurs fusils à silex, les sergens de ville de leur épée, et les gardes civiques sans armes sommés de cesser leur service. Il n’y eut plus dans les villes de Lorraine que les officiers, qui se promenaient en traînant leur sabre sur le pavé avec un bruit de ferraille, que les soldats, qui remplissaient les rues, les places, les brasseries, les églises, et qui pendant huit mois d’occupation ne cessèrent de prendre dans les maisons les plus pauvres la meilleure part de l’espace, de l’air respirable, de la nourriture. Le prince héréditaire avait exprimé l’espérance que « le commerce et l’industrie allaient être rétablis. » C’est pour activer ce résultat désirable que le préfet prussien, le 12 septembre, édicta une amende de 50 francs par jour contre tout négociant qui n’ouvrirait pas sa boutique. « Un employé sera chargé par moi, ajoutait-il, de constater journellement les délits et de me faire un rapport pour pouvoir immédiatement punir les récalcitrans. »

Au milieu de l’anxiété et du désœuvrement général, l’absence de nouvelles et le voisinage, pendant longtemps, des armées de Bazaine et de Mac-Mahon lâchèrent la bride à l’imagination maladive des vaincus. Les nouvelles les plus invraisemblables trouvaient peu d’incrédules. Des dépêches fantastiques, rédigées dans le style le plus anormal, étaient lues avidement. On racontait que le prince Albrecht et le colonel von Hartmann, qui avait le premier affiché sur les murs de Nancy d’insolentes proclamations, avaient été tués dans les bois de Toul, et une foule nombreuse stationnait longtemps devant l’hôtel de France, où l’on prétendait que les cadavres avaient été apportés. Le roi Guillaume avait failli être pris à Pont-à-Mousson, et l’on maudissait le traître qui avait fait manquer le coup. Bazaine avait détruit la première armée et pris cent canons ; Mac-Mahon était venu à Toul avec 100,000 hommes. Un des caractères de ce singulier état moral, presque pathologique, c’était la facilité avec laquelle on entendait des coups de canon imaginaires. Une