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pas le triomphe de cette insurrection cosmopolite, où tout est représenté aujourd’hui, excepté Paris, le vrai Paris et la France. Sans doute on a fait ce qu’on a pu pour fléchir les Prussiens, et les hommes de l’Hôtel de Ville n’ont même pas été dénués d’une certaine diplomatie. Dès le premier jour, ils n’ont pas manqué, eux les partisans de la guerre à outrance, de sanctionner au plus vite les préliminaires de paix. Lorsque les Prussiens leur ont signifié de ne point armer Vincennes, ou leur ont adressé toute autre sommation, ils ne se le sont pas fait dire deux fois. Ces jours derniers encore, on se faisait un devoir d’exonérer les Alsaciens et les Lorrains présens à Paris de tout service militaire dans la garde nationale, en ajoutant que le bon sens populaire comprendrait les motifs de cette mesure sans qu’on y insistât. Assurément le bon sens populaire comprend : il comprend qu’il faut ménager la Prusse, si l’on ne veut être pris de tous côtés, qu’on met la fierté nationale à de dures épreuves. C’est une nécessité de situation dans laquelle on a placé Paris, c’est possible ; c’est pourtant une étrange illusion de se figurer que tous les ménagemens diplomatiques ont pu exercer une influence quelconque sur les déterminations de la Prusse. Si les Prussiens ne sont pas intervenus jusqu’ici, c’est qu’on fait suffisamment leurs affaires sans qu’ils s’en mêlent. Ils sont restés impassibles parce que cette lutte prolongée était pour eux une garantie de plus de l’affaiblissement de la France, et parce que dans tous les cas ils étaient bien sûrs d’avoir le dernier mot dans cet horrible duel. Le jour où la commune aurait paru devenir plus menaçante, elle n’aurait pas tardé à être écrasée sous le talon allemand ; elle serait allée se briser contre le dernier, l’insurmontable obstacle, l’ennemi extérieur, dont la seule présence aurait dû désarmer toute sédition, de sorte que, même victorieuse pour un instant dans sa lutte avec Versailles, cette triste insurrection ne pouvait réussir ; elle était fatalement condamnée d’avance à périr, fût-ce de la main de l’étranger.

C’est donc pour une entreprise sans raison et sans issue possible qu’on n’a pas craint d’allumer la guerre civile, qu’on a précipité la France dans la crise la plus gigantesque, la plus périlleuse, et Paris lui-même dans un abîme de misères dont la population tout entière porte aujourd’hui la peine. Malheureusement, si cette insurrection n’avait aucun motif de naître, si elle n’est que le triste fruit de circonstances exceptionnelles, uniques, qui lui ont donné dans un moment de surprise la force dont elle se sert pour prolonger cette affreuse lutte, elle n’a pas moins produit déjà d’incalculables conséquences, elle n’a pas moins créé une situation désastreuse où tout se trouve remis en doute, tout, même ce qui reste de puissance et de crédit à la France, même l’unité nationale. Nous n’avons pas la moindre envie de descendre jusqu’aux détails de cette étrange expérience dont Paris est tout à la fois