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des armées nombreuses, si l’on accorde à l’ennemi le temps nécessaire pour les écraser l’une après l’autre. Peut-être le général Bourbaki ignorait-il la belle défense que son frère d’armes exécutait du côté de Beaugency ; mais alors c’est sur ceux qui donnaient de loin des ordres aux généraux en chef que retombe la lourde responsabilité de cette trop longue inaction.

Chanzy ne pouvait tenir indéfiniment devant Beaugency, car ses troupes, harassées par huit combats en dix jours, perdaient un peu de terrain à chaque affaire, et en outre étaient menacées par derrière. À la fin de la journée du 10, il montrait encore un front solide entre Josnes et Villermain, ayant en arrière la forêt de Marchenoir ; mais, dès que Beaugency avait été pris, les Prussiens de Voigts-Rhetz (10e corps) avaient filé le long de la Loire dans la direction de Blois, qui était déjà menacé par le général Manstein (9e corps), arrivé par la rive gauche. Il y avait là un pont, le seul entre Orléans et Tours, par lequel les deux corps effectuèrent leur jonction ; réunis, ils allaient prendre l’armée française à revers. Le général Chanzy se mit donc en retraite, mais avec lenteur ; le 14, il se battait encore à Fréteval et à Vendôme, dans la vallée du Loir. Le 25 seulement, les Allemands entraient à Saint-Calais, et le lendemain, après avoir appris les dévastations qu’ils y avaient commises, le général français adressait à leur chef cette belle protestation que tout le monde a lue. « Vous avez prétendu, disait-il en terminant, que nous étions les vaincus ; cela est faux. Nous vous avons battus et tenus en échec depuis le 4 de ce mois. » Nous ne sommes pas en mesure de raconter maintenant avec les détails qu’elle mérite cette retraite accomplie par le froid le plus rigoureux, devant un ennemi qui n’accordait aucune trêve[1]. Chacune des deux armées y fît des pertes considérables. Le malheur fut que l’armée prussienne comblait ses vides avec des soldats vigoureux déjà formés et disciplinés, tandis que la nôtre ne recevait d’autres renforts que des bataillons de mobilisés aussi peu instruits que mal commandés. Le résultat final, qui fut, comme on sait, l’évacuation du Mans après une panique déplorable, n’a donc rien qui doive nous étonner, et ne peut non plus porter atteinte à la réputation que le général en chef s’était acquise dans les combats précédens.

Après avoir tant parlé des généraux et des combattans, il ne serait pas mal de dire en peu de mots quel était le sort des malheureux habitans du pays où se livraient ces batailles gigantesques. Même avant les combats du 1er au 4 décembre, le prince Frédéric-

  1. Tout en attribuant au général Chanzy la gloire de cette retraite héroïque, il serait injuste de ne pas nommer à côté de lui et de MM. Jaurès, Jauréguiberry et de Colomb, commandans des corps d’armée, le général Vuillemot, qui était chef d’état-major général de la 2e armée.