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l’instruction obligatoire. Trois enquêtes à poursuivre, trois commissions à établir, trois bonnes lois à voter, et la France régénérée pourra attendre tranquillement l’heure de la revanche.

Il y a là le germe de grandes illusions et de préjugés au moins aussi dangereux que ceux auxquels nous avons dû nos échecs. Les choses dans la nature ne sont pas aussi simples et ne se laissent pas ainsi manier à coups de décrets. Pas plus en politique qu’en médecine, il n’y a de véritables spécifiques, et ces recettes séduisantes ne sont que le produit d’une observation superficielle et d’une science incomplète. Pallier le mal, le détourner et le suspendre n’est pas le guérir ; il y a certaines apparences de santé qui sont plus funestes que la maladie elle-même. Il faut essayer de voir plus avant dans les choses, s’efforcer surtout de ne se point payer de mots. L’organisation, dont on parle tant, n’est pas un être métaphysique, une force, comme on dit aujourd’hui, qui, concentrée à l’aide de quelque procédé merveilleux et appliquée à un peuple, le transformera tout à coup en lui infusant l’énergie qui lui manque. L’organisation militaire d’une nation n’est que l’expression militaire des forces sociales de cette nation ; elle les dégage, les règle, les harmonise, elle ne les crée pas. Si dans un peuple le goût du bien-être et du travail facile, l’habitude d’une longue prospérité, ont affaibli l’esprit de conquête et endormi les rivalités nationales, si l’abus de l’esprit léger, l’incrédulité frivole, les pratiques d’une démocratie envieuse, la passion effrénée de l’égalité, l’action dénigrant enfin d’une presse sans moralité, ont détruit le respect dans les âmes, l’autorité dans le gouvernement, la discipline dans les mœurs, l’organisation la plus savante n’y fera rien, car le principe même en sera paralysé. La réforme ne sera qu’au dehors, et sous la première secousse un peu violente tout cet échafaudage s’écroulera, les élémens ayant perdu cette force secrète qui fait qu’ils s’agrègent spontanément, se groupent, se maintiennent. Il en est de même du service militaire universel : il est juste, il est moral, il est nécessaire ; mais il ne suffit pas. Les armées du premier empire, qui ont fait à travers l’Europe leurs courses épiques, l’armée de Crimée, qui a donné pendant près de deux ans l’exemple de tant de vertus militaires, l’armée de Metz enfin, qu’il serait coupable de méconnaître, et qui aux premiers jours de cette guerre déplorable a, d’avance en quelque sorte, lavé dans son sang l’honneur de la patrie, étaient toutes recrutées d’après un système opposé à celui de la Prusse. Il faut donc chercher ailleurs les raisons profondes du succès de ce pays et les véritables moyens de le combat ire. La question est trop vaste pour être abordée de front et dans son ensemble ; nous voudrions la toucher aujourd’hui par la base, pour ainsi dire,