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de nuire sans cesser d’être reconnues. En d’autres termes, il faut rappeler aux hommes leurs devoirs, les faire souvenir de leur dépendance vis-à-vis des puissances supérieures ; il faut entretenir en un mot la religion, ou, comme on disait dans le principe sans attacher à ce terme aucun sens défavorable, la superstition.

Un impérieux besoin de l’esprit pousse l’homme, les peuples-enfans surtout, à attribuer à toute chose une intelligence et une volonté, à tout personnifier. C’est ce besoin qui nous fait concevoir les nécessités mentionnées comme des manifestations de la divinité, de plusieurs dieux ou d’un seul, suivant le développement de l’esprit d’abstraction et de généralisation. Les dieux de l’antiquité ne sont dans l’origine que des personnifications des forces de la nature ou des élémens, du chaos, de la terre, du ciel, de l’océan. Une fois imaginés, on s’en servit pour désigner les puissances morales, du respect desquelles dépend aussi notre salut. La vierge aux yeux bleus, qui était d’abord la déesse de l’air, du ciel azuré, représente plus tard la pureté et la sagesse. Le dieu du soleil devient chez les Grecs la personnification de la poésie qui réchauffe et de la science qui éclaire ; chez les Romains, on l’identifie avec la bonne foi, centre du monde moral.

Les anciens comprenaient mieux que nous que la divinité intervient dans toute notre vie, en règle les grandes lignes et les petits détails. S’ils se trompaient singulièrement quant à la manière dont cette action s’opère, ils savaient que nous ne pouvons ni faire un pas, ni dire un mot sans avoir à nous mettre en règle avec les puissances supérieures. Ils appliquaient cette idée non-seulement aux individus, mais aux états, qui eux aussi ont des devoirs à remplir. La superstition avait une grande influence sur la vie publique, et facilitait la solution de problèmes politiques importans. Les âmes saines et fortement trempées, celles qui font les meilleurs citoyens, sont à la fois humbles devant Dieu et fières devant les hommes. Elles savent devoir à l’un les sacrifices qu’elles ne peuvent pas faire aux autres sans s’avilir. Avec de tels élémens, l’unité d’action nécessaire à la société s’établira au nom de Dieu. C’est en s’entendant sur le terrain religieux qu’on s’accordera en politique. En religion cependant, l’harmonie ne s’établira pas toute seule ; Là plus qu’ailleurs peut-être, il y aura autant d’avis différens que de têtes. L’art et le travail pourront triompher de la dissidence naturelle et ramener l’unité ; mais il faudra vouloir s’entendre, y prendre peine, communiquer ses idées aux autres, et surtout écouter les leurs. Il faudra bien se garder de s’isoler, avec la prétention hautaine de n’avoir rien à apprendre d’autrui. Alors, en conformant nos actes à la volonté divine, nous nous trouverons les conformer à ceux des