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d’examiner si le temps était favorable au projet, si l’assemblée populaire serait surprise par une averse, ou l’expédition entravée par un orage. Plus tard les choses se compliquèrent. Du reste on prenait les auspices à tout propos. Dans l’antiquité, on ne construisait guère d’édifice, on n’établissait pas de jardin sans les orienter. Les augures montraient à l’homme sa place dans le grand tout ; ils lui enseignaient la conduite à tenir pour faire seconder ses entreprises par les forces éternelles du monde.

Les procédés indiqués n’étaient pas les seuls employés pour deviner la volonté des dieux ; on tirait des conjectures des incidens les plus insignifians. On sait l’histoire de ce paysan dont les chaussures avaient été mangées par les rats : évidemment il y avait là un avertissement des dieux. Consulté sur ce cas singulier, le caustique Caton n’y pouvait voir aucun prodige. Il y en aurait eu un, dit-il, si les chaussures avaient mangé les rats. On voyait donc dans chaque événement une révélation. Encore une fois, le principe était juste, on se trompait seulement dans l’interprétation. Dans une peste, une famine, un revers militaire, on voyait le signe du courroux céleste, et l’on recherchait par quelle faute on l’avait mérité. On attribuait souvent, il est vrai, à une inexactitude dans quelque détail insignifiant du culte les résultats de la violation d’une loi physique ou morale. On s’attachait au général sous les auspices duquel on avait souvent remporté la victoire, non pas à cause de ses talens, mais parce que les dieux étaient avec lui. Les personnes, les lieux et les dates qui rappelaient des désastres étaient soigneusement évités, comme chargés de la malédiction divine.

Les dieux ne donnaient pas seulement des prescriptions isolées relatives à certains actes particuliers, il y avait aussi des principes généraux, des institutions, des disciplines, que l’on pensait tenir d’eux : ainsi les diverses parties du droit. Le point de vue qu’on retrouve ailleurs était juste. Dans toute disposition juridique, il y a deux élémens à distinguer, l’un nécessaire, imposé par la nature des choses, l’autre arbitraire, ajouté par l’homme. Il est dans la nature des choses que certains droits se perdent quand on reste un certain temps sans les exercer, mais c’est l’homme qui fixe les délais de la prescription. La nature nous a donné des besoins à satisfaire ; elle nous a placés au milieu de circonstances qui déterminent dans une juste mesure les moyens de satisfaction, tout en nous laissant pourtant encore quelque choix. Ces besoins et ces circonstances constituent la raison de la loi ; le moyen choisi par l’homme en est le dispositif. Les raisons des lois dérivant de cette nature des choses dont la divinité est la source, elles sont l’objet de cette face du droit qu’on appelle droit naturel, et qu’on