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distingué, et des manières… comme une vraie demoiselle. Quel malheur pour vous d’avoir écouté ce perruquier ! sans cela, voyez-vous, tout serait possible. Vous me direz que bien d’autres ont fait fortune sans être épousées, c’est encore vrai. Le prince parti, vous en retrouverez peut-être un autre de même qualité. Ça fait très bien d’avoir été aimée d’un prince, ça efface le passé, ça vous fait remonter dans l’opinion des hommes. Allons, ne vous tourmentez pas, M. Valentin connaît le beau monde, et, si vous voulez vous fier à lui, il est capable de vous donner de bons conseils et de bonnes relations.

Mme Valentin bavardait plus que ne l’eût permis son prudent mari. Francia ne voulait pas l’écouter ; mais elle l’entendait malgré elle, et la honte de se voir protégée et conseillée par de telles gens lui faisait sentir davantage l’horreur de sa situation. — Je veux m’en aller ! s’écria-t-elle en sortant de son lit et en essayant de s’habiller à la hâte ; je ne dois pas rester ici !

Mme Valentin la crut prise de délire et la fit recoucher, ce qui ne fut pas difficile, car les forces lui manquaient et la pâleur de la mort était sur ses joues. Mme Valentin envoya son mari chercher un médecin. Valentin amena un chirurgien qu’il connaissait pour avoir été soigné par lui d’une plaie à la jambe, et qui exerçait la médecine depuis qu’estropié lui-même il n’était plus attaché effectivement à l’armée. C’était un ancien élève et un ami dévoué de Larrey. Il avait la bonté et la simplicité de son maître, et même il lui ressemblait un peu, circonstance dont il était flatté. Aussi aidait-il à la ressemblance en copiant son costume et sa coiffure ; comme lui, il portait ses cheveux noirs assez longs pour couvrir le collet de son habit. Comme lui du reste, il avait la figure pâle, le front pur, l’œil vif et doux. Francia s’y trompa au premier abord, car ses souvenirs étaient restés assez nets, et, en le voyant auprès d’elle, elle s’écria en joignant les mains : Ah ! monsieur Larrey, je vous ai souvent vu là-bas !

— Où donc ? répondit le docteur Faure, que l’erreur de Francia toucha profondément.

— En Russie !

— Ce n’est pas moi, mon enfant, je n’y étais pas ; mais j’y étais de cœur avec lui ! Voyons, quel mal avez-vous ?

— Rien, monsieur, ce n’est rien, c’est le chagrin. J’ai eu des rêves, et puis je me sens faible ; mais je n’ai rien, et je veux m’en aller d’ici.

— Vous voyez, docteur, dit la Valentin, elle déraisonne; elle est ici chez elle, et elle y est fort bien.

— Laissez-moi seul avec elle, dit le docteur. Vous paraissez l’effrayer. Je n’ai pas besoin de vous pour savoir si elle a le délire.