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vainqueur tout-puissant pouvait se soucier du ridicule, peut-être le gouverneur-général n’aurait-il pas complètement lieu de se féliciter de l’impression qu’il produisit le 9 octobre. C’est une grande erreur de se figurer que l’administration allemande procède toujours par décisions cassantes et inflexibles. Sa manière d’agir comporte beaucoup d’hésitation, de demi-mesures, de pas en avant et en arrière ; à certaines heures, elle est tranchante, mais il faut que son intérêt l’y engage évidemment. Ces lenteurs doivent faire supposer non pas qu’elle hésite sur la conduite qu’elle tiendra en dernier lieu, mais seulement que l’heure pour elle n’est pas venue. C’est là une des principales raisons pour lesquelles par exemple, bien décidée à réorganiser du tout au tout la faculté de Strasbourg, elle chercha par tous les biais possibles, en proposant une réouverture des cours, en faisant annoncer que les élèves pouvaient s’inscrire, en convoquant les doyens sans les mettre en mesure de répondre par oui ou par non, en les faisant interroger par le commissaire de police, qui remplissait un devoir de conciliation, en priant le maire d’intervenir et de traiter la question au point de vue des intérêts municipaux, à gagner du temps, à voir quels seraient les professeurs sur le concours desquels elle pourrait compter, à faire illusion aux élèves et aux maîtres sur son parti bien arrêté d’avance. Sa conduite a été la même avec les fonctionnaires des finances, jusqu’au jour où elle a eu des cadres allemands assurés. Les séductions même ne manquaient pas à ses agens, et cependant pouvait-on se tromper sur ses propositions quand elle offrait avec instance à un chef de service la garantie de sa retraite et des appointemens doubles de ceux qu’il avait eus jusqu’alors ? Ce chef de service ne savait pas un mot d’allemand, comme M. de Bismarck le constatait, il était connu pour bon patriote, il ne cachait pas l’impression douloureuse que lui faisaient de semblables propositions ; l’autorité prussienne elle-même ne pouvait prendre au sérieux les démarches qu’elle multipliait. On en peut dire autant de sa conduite à l’égard des magistrats : le gouverneur leur a offert vingt transactions pour que la justice civile continuât à être rendue quelques jours encore ; la dignité de la France exigeait qu’ils cessassent au plus tôt leurs fonctions.

La prompte réorganisation de tous les services publics devait demander au gouvernement général de grands efforts. La France, qui n’avait jamais cherché à faire disparaître l’idiome alsacien devant le français, nommait de préférence en Alsace des agens originaires du pays. C’était là une conduite libérale, les intérêts de l’état n’ont jamais eu à en souffrir, et la province, administrée en grande partie par ces concitoyens, gardait ainsi une sorte d’autonomie. En 1870, à peu près tous les percepteurs et les juges de paix du haut et du