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France que la constitution de 1791 condamnait la nation à une anarchie qui durerait jusqu’à l’avènement d’un maître. La cause de cette anarchie, c’était l’unité du corps législatif. Une seule chambre, écrivait-il, sera éternellement despote ou esclave[1]. Ce jugement pourrait servir d’épigraphe à l’histoire de la convention.

Depuis quarante ans, on n’a pas épargné les paradoxes pour réhabiliter cette assemblée fameuse et lui susciter des successeurs. Dans les agitations des clubs et de la commune, dans la lutte des girondins et des jacobins, il y a un éclat sinistre qui séduit l’imagination d’un peuple dont l’esprit est gâté par le théâtre et le roman. C’est un devoir de protester contre ce démenti donné aux témoignages des contemporains. En faussant l’histoire, on fausse la conscience humaine, on prépare les tristes scènes qui nous désolent aujourd’hui. La commune de 1871 n’était que l’abominable parodie de la commune de 1793. Si les noms de liberté, d’égalité, de république, éveillent des souvenirs funestes, des craintes qu’on ne peut guérir, c’est que la convention a déshonoré ces mots qui devraient faire battre tous les cœurs. La majorité de la convention était, dit-on, composée d’honnêtes gens, de patriotes dévoués. Je l’accorde. Quel argument contre l’unité d’assemblée ! Quelle usurpation, quelle violence, quel crime la majorité n’a-t-elle pas autorisé par son silence ou ratifié par sa faiblesse ? Il a suffi de l’audace de quelques forcenés pour qu’une réunion de législateurs, effrayés par des émeutes soldées, légalisât ce qu’un des membres les plus vertueux de la convention, Boissy-d’Anglas, ne craignait pas d’appeler l’empire du brigandage et de la terreur.

C’est en 1795 que Boissy-d’Anglas tenait ce langage aux membres de la convention que l’échafaud avait épargnés ; c’est à l’omnipotence d’une chambre unique que le rapporteur de la constitution de l’an m attribuait tous les maux qu’on avait déchaînés sur la France ; c’est sur cette récente et cruelle expérience qu’il s’appuyait pour justifier l’établissement de deux assemblées.

« Je m’arrêterai peu de temps, disait-il, à vous retracer les dangers inséparables de l’existence d’une seule assemblée ; j’ai pour moi votre propre histoire et le sentiment de vos consciences. Qui mieux que vous pourrait nous dire quelle peut être dans une assemblée l’influence d’un seul individu, comment les passions qui peuvent s’y introduire, les divisions qui peuvent y naître, l’intrigue de quelques factieux, l’audace de quelques scélérats, l’éloquence de quelques orateurs, cette fausse opinion publique dont il est si aisé de s’investir, peuvent y exciter des

  1. Œuvres de Clermont-Tonnerre, Paris 1792, t. IV, p. 244.