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suspectée d’infamie ; M. de Sismondi cite Villani par le livre et par la page. Quand Matteo Villani aurait dit la chose, je ne l’en croirais pas ; mais il n’en dit pas un mot, et le texte de l’auteur italien permet d’affirmer qu’il n’a point même songé à ce qu’on lui a fait avancer[1], et voilà justement comme on écrit l’histoire.

Froissart, plus près placé que Villani, dit simplement que Charles d’Espagne de La Cerda était « le chevalier du monde que le plus amoit le roi Jean, car ils avoient été ensemble nourris d’enfance et compains en toute chose. » Ils étaient de même âge, trente-deux ans à l’époque dont nous parlons. Le continuateur peu bienveillant de Nangis ne fait pas la moindre allusion à cet amore disordinato, si mal compris à Genève. Personne en France, ni en Angleterre, n’y entendit infamie, et il n’y en a trace nulle part. La jalousie dont Charles d’Espagne était l’objet n’avait donc d’autre cause que cette irritation éternelle dont sont poursuivis dans l’entourage des rois ceux qui sont l’objet de leur affection particulière et de leur confiance. Les courtisans du prince regardent ces préférences comme une humiliation, et en recherchent la vengeance comme d’une injure à leurs droits. Ce n’est point au reste la seule insinuation odieuse que M. de Sismondi se soit permise à l’endroit du roi Jean. Le second mariage de ce prince avec la veuve du duc de Bourgogne l’a exposé à des soupçons que n’ont point connus les contemporains, et que repousse le simple bon sens. Les appréhensions des Bourguignons à l’endroit d’une réunion à la couronne étaient de la même nature que celles des Provençaux. Aucune province de France n’a été au-devant de l’unité nationale.

La mort violente du connétable Raoul, comte de Guines et d’Eu, fut suivie d’autres événemens à l’occasion desquels le mémoire du roi Jean mérite plus de justice et de faveur ; je veux parler de la convocation des états-généraux. On en a tenu trop peu de compte au fils de Philippe de Valois. Il n’a pas dépendu de lui que la France n’acquît dès lors le bienfait d’une représentation permanente et constitutionnelle à l’égal de l’Angleterre, et l’on verra plus tard quelle responsabilité les états eux-mêmes méritent de porter dans l’histoire des calamités du royaume. Quoi qu’il en soit, dès le début de son règne, après avoir donné des soins aux objets les plus pressans, le roi Jean appela auprès de lui les trois états, le clergé, la noblesse et les communes, pour établir avec eux des rapports de confiance

  1. Voici le texte de Villani : « … Messer Carlo… era cavalière di gran cuore, valoroso in fatti d’arme, pieno di virtu a di cortesia, e adorno del corpo, e il re gli mostrava singulare amore, e innanzi a gli altri baroni seguitava il consiglio di costui, e chivolevano mal parlare criminavano il re di disordinato amore in questo giovane, e del grande stato di costui nacque matoria di grande invidia che li portavano gli altri maggiori baroni. »