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crire des lettres expliquant les motifs qu’il avait eus pour cette exécution[1].


Le roi, blessé au vif, en éprouva le plus violent ressentiment, et voulut faire une justice exemplaire. La cour des pairs fut convoquée, une procédure instruite, une condamnation prononcée ; mais les princesses de la famille royale intervinrent avec instance, et, le conseil du roi considérant que Charles de Navarre donnait la main aux Anglais dans la Guienne, et qu’en sa possession étaient les plus grandes terres de Normandie, où il s’était fortifié de grand soin, appelant les Anglais à joindre leurs forces aux siennes, on crut prudent de négocier, et l’on ménagea le pardon du roi de Navarre. Le roi se contenta d’y mettre un grand appareil. Le mardi quatrième jour de mars 1353, en présence d’une assemblée nombreuse et solennelle, le coupable vint demander sa grâce. Après qu’il eut parlé avec humilité, le cardinal de Boulogne, au nom du roi, gravement assis et silencieux, dit au roi de Navarre : « Vous êtes tant tenu au roi, que vous ne le dussiez jamais avoir faict. Vous estes de son sanc, si prochain comme chascun scet ; vous estes son homme et son per, et si avez espousée madame sa fille, et de tant avez-vous plus mespris. Toutefois, pour l’amour de mesdames les roynes qui cy sont, qui moult affectueusement l’en ont prié, et aussi pour ce que il tient que vous l’avez fait par petit conseil, il le vous pardonne de bon cuer et bonne volonté. Et lors lesdites roynes et ledit roy de Navarre, qui mist le genoul en terre, en mercierent le roy. Et encore, dist le cardinal, que aucun du lignage du roy ne se avanturast d’ores en avant de faire tels fais comme le roy de Navarre avoit fait, car vraiment si il advenoit et fust le fils du roy qui le feist du plus petit officier qu’il eust, si en feroit-il justice. Et ce fait et dit, le roi se leva et la court se départi[2]. »

Mais la réconciliation ne fut pas de longue durée. Peu de temps après son pardon, Charles de Navarre nouait de nouvelles intrigues. Le roi Jean, qui surveillait ses menées, fit mettre la main sur quelques-uns de ses châteaux, et Charles, intimidé, se soumettait encore. On lui donna un sauf-conduit pour se retirer en ses terres de Navarre, où il avait promis de vivre en paix. Il en profita pour lever un corps de troupes, avec lequel il vint par mer à Cherbourg sous

  1. On a rapporté une altercation qui aurait eu lieu entre Charles de Navarre et Charles d’Espagne, et les méchans propos que l’un y tint à l’autre. Je crois le fait supposé, et n’en ai pas trouvé trace dans les auteurs contemporains. Voyez les différentes rédactions de Froissart sur cet événement dans l’édit. Lettenhove, t. V, p. 300 à 312, et la Chronique des quatre Valois, p. 20. La déposition de l’un des complices du Navarrois, rapportée par Secousse, ne mérite aucune confiance.
  2. Grandes chroniques de saint Denis sur 1354, t. VI, p. 11 et 12, de l’édit. de P. Paris ; cf. du Tillet, Chronique abrégée, exactement concordant avec le continuateur de Nangis et Villani.