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50,000 ; en une troisième, il se borne à dire que les Français étaient cinq fois plus nombreux que les Anglais. Les chroniques flamandes ont exagéré, comme Froissart, le nombre des Français et réduit le nombre des Anglais. Les historiens anglais de nos jours qui ont voulu rechercher la vérité, comme Lingard, ont donné 12,000 hommes d’élite au prince de Galles, et se sont contentés de reconnaître un nombre supérieur aux Français, sans le fixer. Nos archives françaises ne nous ont encore rien révélé sur ce point.

Les deux armées étaient en présence, et la position du prince anglais fort critique, lorsque survint le cardinal de Périgord, négociateur célèbre de ce temps, accompagné d’un autre prélat, tous deux envoyés par le saint-père pour faire un dernier effort à l’effet de ramener la paix entre les deux puissances. Après avoir obtenu la suspension des hostilités pour deux jours, et reçu les propositions du prince de Galles, ils retournèrent auprès du roi Jean, qui convoqua son conseil per fare assentire a tutti l’offerte. Remarquons que ce roi brutal et despotique agit toujours de l’avis et selon la direction d’un conseil. Les offres du prince de Galles consistaient à restituer au roi de France les terres envahies par les Anglais, à rendre à la liberté tous les prisonniers français, à payer au roi de France CC migliaia dv nobili, che valeano cinquecento migliaia di fiorini d’oro. Et le prince demandait comme assurance de la paix stipulée la main de la jeune fille du roi avec la duché d’Enghien pour dot… Il priait en outre que la liberté fût rendue au roi de Navarre, et que son royaume lui fût restitué[1].

Le roi et son conseil s’accommodaient assez de ces propositions, a queste cose il re e’l consiglio s’acconciavano assai bene ; mais les propositions ne pouvaient être prises comme sérieuses : qu’avec le consentement du roi Edouard, qui était fort éloigné. Le prince de Galles s’engageait à lui expédier un messager avec demande d’une prompte réponse. Le roi Jean, dit Villani, avait connu par son expérience combien était incertain le sort des batailles, et, trouvant satisfaisantes les indemnités qui lui étaient offertes pour les dommages qu’il avait soufferts, il se montrait disposé à la paix. Il réunit ses barons et les dignitaires du royaume, et leur soumit son avis. Or parmi eux se trouvait l’évêque de Châlons, Regnault Cheauveau, homme d’église et de guerre à la fois, comme tant d’autres de ce temps, et l’un de ceux de l’ost du roi. en qui ce dernier avait le plus de confiance. Le prélat champenois se prononça, vivement, contre l’acceptation des propositions anglaises. Il représenta que la situation était critique, le moment suprême, que le délai de plusieurs jours, nécessaire pour avoir la réponse d’Angleterre, suffirait au

  1. Villani, loc. cit., cap. X, XI et XII.