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cades ! Assurément ceux qui ont du goût pour la rhétorique n’eurent pas le droit de se plaindre : ce fut le gouvernement de la phrase en permanence. Les avocats au pouvoir ne parlaient pas sans doute tous les jours ; mais en revanche combien ils écrivirent, dissertèrent et proclamèrent ! Et dans le nombre que de phrases malheureuses échappées à nos gouvernans, qui tous, s’ils n’étaient pas avocats, étaient dignes de l’être ! Ce langage sonore et creux avait fini par inspirer un ennui irrésistible au peuple souverain ; c’était un agacement universel : on se rapprochait insensiblement des goûts de la nature, qui, au dire des savans du moyen âge, a horreur du vide. Tandis que ces jeux innocens du barreau en vacances nous consolaient, bien faiblement, il est vrai, des rudes épreuves du siège, le proconsulat sévissait en province, d’abord sous la forme doucement plaisante de deux vieillards un peu démodés à Paris, de qui leurs collègues avaient pensé sans doute

« Qu’ils étaient assez beaux pour des rois de province, »

puis sous la forme agitée d’un jeune homme remarquablement doué pour la tribune, mais d’une ignorance égale à ses talens oratoires, d’une présomption supérieure à son inexpérience, à qui les séides étonnans dont il s’était entouré persuadèrent sans trop de peine qu’il résumait en sa personne toute la variété possible des aptitudes civiles et militaires, qu’il savait tout sans avoir rien appris, à la fois Mirabeau d’instinct et Carnot sans études. Singulière expérience, qui nous a montré une fois de plus quel trouble d’esprit peut produire la toute-puissance, et dont la France a été cette fois encore la dupe un instant et pour longtemps la victime !

Ainsi, tour à tour faible et violente, transigeant à Paris avec les chefs du désordre pour. obtenir jour par jour un ordre précaire, se servant d’eux ailleurs pour dominer le pays, incurablement méfiante à l’égard du suffrage universel, toujours disposée à l’altérer ou à s’en passer, révolutionnaire en un mot par son origine, son esprit, ses procédés, la république de 1871 inclinait visiblement vers la fin de sa carrière au jacobinisme le plus pur. Il s’en fallut de peu que l’élément faible et modéré, qui se débattait à Paris dans les ruines d’un pouvoir sans prestige, ne fût absorbé par l’élément violent et dictatorial, qui régnait à Bordeaux dans le bruit d’une popularité factice. Les girondins ne durent leur salut qu’au soulèvement moral de la province exaspérée ; mais déjà un troisième parti, excité par je ne sais quelle détestable émulation, se levait sur le mont Aventin, à Paris. C’est un parti que je ne pourrais comparer qu’à celui d’Hébert et de Chaumette dans la première révolution, en y ajoutant des élémens modernes empruntés aux sociétés