Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 93.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maintenant, si on veut bien croire encore à sa loyauté, on le traite comme un débiteur exposé à toute sorte de mauvaises affaires, et à qui on demande des gages exorbitans. Assurément M. de Bismarck a manqué de la prévoyance de l’homme d’état autant que de généreuse équité en abusant d’une circonstance douloureuse : il a sacrifié des considérations supérieures de politique à des calculs vulgaires, et il a failli même compromettre la paix en ravivant les colères du sentiment national offensé ; mais voyez cet enchaînement de fatalités toujours heureuses pour le vainqueur, toujours déplorables pour nous. Au premier instant, sous l’influence des impitoyables conditions des préliminaires de la paix, la haine contre l’Allemagne est violente en France, et semble devenir l’unique inspiration de tous les cœurs, lorsque l’insurrection du 18 mars éclate comme une sombre diversion, et fait presque oublier pour le moment la guerre allemande ; à travers les fumées sanglantes de la guerre civile, on aperçoit à peine l’ennemi étranger campé autour de nous. La paix de Francfort, par les aggravations qu’elle inflige, vient réchauffer la haine et secouer le patriotisme en le ramenant à son invariable objectif : aussitôt l’incendie de Paris éclate, et détourne toutes les pensées en faisant oublier encore une fois l’ennemi extérieur, désormais en possession de tous les avantages, de toutes les garanties qui ont été la rançon de nos déchiremens. Ainsi de toute façon, sous toutes les formes, l’action de la commune est inscrite à chaque ligne de ce dernier chapitre de nos humiliations nationales. Voilà ce que les patriotes du 18 mars ont fait pour la France ! La France, sans nul doute, en gardera la mémoire, elle doit aux communistes de Paris sa puissance menacée, ses monumens en ruine, ses souvenirs les plus glorieux outragés, sa capitale livrée aux flammes, l’occupation étrangère prolongée, ses charges augmentées, son crédit mis en doute, le travail partout suspendu, et, comme couronnement de ces désastres, la patrie française livrée à l’injure ou à la pitié du monde. Cette insurrection, c’est le crime de lèse-nation le plus caractérisé, le plus odieux, le plus sinistre qui ait laissé sa trace sanglante dans l’histoire.

Certes tous ces événemens réunis, concentrés en quelques mois, sont une redoutable épreuve pour un peuple. Tous ces coups, si imprévus il y a un an et si cruellement redoublés, sont de ceux qui troublent le cœur et déconcertent l’esprit. Ce serait même une indigne faiblesse de chercher à s’abuser complaisamment sur ces grands deuils publics, et pourtant il peut y avoir une compensation. Ces éclipses de puissance militaire, cette ville en flamme aujourd’hui, ces victimes immolées, ces crises gigantesques d’une société à l’apparence florissante, non, tout cela ne peut pas s’être accompli en vain. De même que les défaites de nos armes, après nous avoir surpris d’abord, ont uni par nous laisser