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rection sans exemple à vaincre dans Paris, les passions de sédition à contenir dans les provinces. Tout cela était à faire à la fois. Il y a un homme néfaste qui a dit un jour que la France ne périrait pas dans ses mains, et cet homme a certes tenu singulièrement sa promesse ; M. Thiers, lui, sans avoir prononcé de ces mots vaniteux, peut se rendre cette justice, que la France, aux prises avec les plus grands périls, n’a pas péri dans ses mains. Ce qui a fait sa force, c’est cette trêve des opinions qu’il s’est engagé à maintenir et qu’il représente au pouvoir. Ce ne serait guère le moment en vérité de songer à ébranler une situation si peu rassise encore. Au fond, bien peu y songent sérieusement, et ceux qui seraient hommes à ne point redouter les grosses responsabilités auraient assez de patriotisme pour craindre d’aller en ce moment jusqu’au bout de leurs pensées. M. Thiers a pour lui la victoire qu’il vient d’assurer à la société française ; mais en même temps, il faut bien le reconnaître, M. Thiers n’est pas tout son gouvernement, et en réalité les dispositions maladives, inquiètes, qui se font jour dans une partie de l’assemblée menacent moins le chef du pouvoir exécutif que quelques-uns de ses ministres, qui ont la triste fortune de rappeler les mauvais jours qu’ils n’ont pas pu ou qu’ils n’ont pas su épargner au pays. Cette impopularité est-elle entièrement juste ? Il n’est pas moins vrai qu’il y a des fatalités que les hommes publics doivent savoir accepter, et si ces ministres, qui à tort ou à raison sont une cause de malaise, avaient auprès d’eux un ami sincère, courageux, cet ami leur dirait qu’une retraite volontaire serait aujourd’hui de leur part un acte d’abnégation utile, patriotique, qui pourrait simplifier beaucoup les choses en dissipant les nuages qui passent de temps à autre au-dessus de l’assemblée. Enfin, selon le vieux mot, il y a quelque chose à faire, et ce quelque chose commence par le remplacement de M. Picard au ministère de l’intérieur, par la nomination d’un nouveau préfet de la Seine, qui semble devoir être M. Léon Say. M. Thiers a une expérience trop consommée pour ne pas savoir comment il peut dégager complètement cette situation. Après cela, il ne faut pas qu’on croie qu’un changement de ministère va tout sauver. Pendant qu’on s’agite dans ces conflits indistincts, le pays souffre, la misère monte, les besoins augmentent. Le moment vient plus que jamais où il faut laisser de côté les questions personnelles, où tout appelle et commande l’action : aux affaires donc, toute la politique est là aujourd’hui !

Ch. de Mazade.

C. Buloz.