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jusqu’à la dernière heure, également ferme dans ces deux caractères, également persuadé de ses devoirs de général, de ses devoirs de chrétien. Aux yeux du moindre Français d’un sens droit, cette lettre est une suite de sophismes, une mauvaise action. Ce jugement est trop sévère : cette lettre est allemande.

Ces sortes de synthèses, cet hégélianisme pratique, qui révoltent les esprits peu habitués à la critique, se retrouvent à chaque ligne dans les brochures ou les articles relatifs à l’Alsace. L’Allemagne avait répété mille fois que l’Alsace n’était pas française, que cette province ne désirait que sa réunion à l’empire. La protestation du 8 février, quand toute la députation du haut et du Bas-Rhin avait un sens si précis, fit tomber cette illusion. On vit alors dans des journaux sérieux des raisonnemens dont nous avons quelque peine à saisir toute la valeur. « L’attachement de l’Alsace à la France, disait-on, fait la joie de l’Allemagne ; il est une dernière preuve qui rend plus sensible la parenté de l’Allemagne et de l’Alsace ! Qu’est donc cette fidélité chevaleresque à la France, sinon un sentiment germanique que nous seuls pouvons éprouver ? Que l’Allemagne soit fière ; le sang de nos ancêtres n’a pas dégénéré dans les veines des Alsaciens : plus ils sont dévoués à la France, plus ils témoignent à leur insu qu’ils sont Allemands ! » De pareilles déductions enchantent le lecteur d’outre-Rhin ; elles lui paraissent être d’une évidence incontestable. On reconnaîtra du moins que les Alsaciens ne les comprennent point, et que par là ils ne sont pas des Allemands parfaits. Après l’armistice, que de fois des écrivains, s’adressant au cœur généreux de l’Alsace, ne lui ont-ils pas répété que l’acte le plus français qu’elle pouvait faire était de supplier la France d’abandonner cette belle province pour s’épargner les horreurs d’une guerre plus longue ! « Jetez-vous, lui criaient-ils, dans les bras de votre patrie d’adoption, que vous aimez tant, dites-lui que vous venez lui demander un gage suprême d’amour, que vous la suppliez de vous sacrifier pour se sauver, que vous vous offrez en victime expiatoire ! » Quiconque a quelque peu vécu avec les Allemands sait combien ces sortes de raisonnemens leur sont familiers. Qui n’a entendu en Alsace ces poésies d’une sensibilité si fade, ces chants dont l’Allemagne inonde sans cesse la province, et qui témoignent au peuple conquis la plus doucereuse affection, pendant que le vainqueur n’oublie pas un seul jour son principe de la discipline inflexible, de la compression lente, mais continue ? Aujourd’hui à Strasbourg vous recevez un officier de l’armée d’occupation ; vos amis d’Allemagne vous l’adressent pour que vous lui fassiez les honneurs de la ville : ils vous prient de le promener au milieu des rues incendiées. Le visiteur, un peu surpris de votre accueil trop français, se rassure bientôt : il a un argu-