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auquel on avait assisté quand les habitans de la campagne, devant l’invasion péloponésienne, s’étaient réfugiés à Athènes, enfin les privations auxquelles on avait été condamné par la dévastation de l’Attique. « Puissions-nous, s’écriait-il, ne plus jamais voir une seconde fois les charbonniers de la montagne descendre dans la ville, les moutons, les bœufs et les chariots s’y entasser avec les femmes, les vieillards, les laboureurs armés ; puissions-nous ne plus être condamnés à manger des choux et des olives sauvages ! » Quand il passa par ces épreuves en 431 et 430, Andocide avait de quinze à vingt ans ; nous qui venons d’en traverser de semblables et de plus cruelles encore, nous comprenons quelle impression elles avaient laissée dans l’esprit du jeune homme, et nous sentons quel écho le souhait qu’il formait là dut trouver dans l’âme de ses auditeurs.

On ne sait plus rien d’Andocide jusqu’en 415, année qui vit le départ de la désastreuse expédition de Sicile, cette folle entreprise qui marque le point culminant de la puissance athénienne et le commencement de sa décadence. Andocide était alors un homme fait. Docile imitateur des vices de son père, il aimait aussi beaucoup la table et la bonne chère ; il n’avait point encore rempli de fonctions importantes, ni pris rang comme orateur. Ce qu’il pouvait avoir d’instruction, d’esprit et de talent, au lieu de le montrer sur la place publique, il le dépensait de préférence dans les soupers que présidait et où s’endormait parfois le vieux Léogoras, alors le doyen des gastronomes athéniens[1] ; Andocide était plus connu en cette qualité que comme personnage politique. Il était déjà pourtant, ainsi que plusieurs de ses parens, de ses amis, des convives de son père, l’objet d’une certaine méfiance. Le peuple athénien, réuni dans le théâtre de Bacchus, riait aux éclats de scènes où, comme dans les Grenouilles d’Aristophane, le dieu qui présidait à la fête jouait un rôle ridicule et bouffon ; il était en même temps d’une piété ou, pour mieux dire, d’une dévotion singulièrement chatouilleuse et susceptible. Il y a là une apparente contradiction dont le moyen âge, avec sa foi profonde et naïve, nous offre aussi bien des exemples. Les gaîtés de la comédie, comme celles des farces et des mystères chrétiens, ne tiraient pas à conséquence ; la licence en était regardée comme un utile repos de l’esprit, qu’elle venait, une ou deux fois par an, délasser des graves pensées et des travaux sérieux. On lui passait tout, parce qu’on ne la soupçonnait d’aucune mauvaise intention, d’aucune pensée hostile ou sceptique.

Ce fut ainsi que dans les siècles qui précédèrent la renaissance

  1. Sur les mystères, § 17.