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tant : « Vous avez conquis aujourd’huy le haut nom de proëce, et avez passé tous les mieux faisans de votre côté. Je ne le dis mie, ce sachiés, chier sire, pour vous lober, car tous cil de nostre partie qui ont vu les uns et les autres se sont par pleine science à ce accordés, et vous en donnent le prix et le chappelet, si vous le volés porter. » Le lendemain, le prince et le roi se dirigèrent à petites journées vers Bordeaux, où les attendait une sympathique réception. Le roi Jean y fut logé au couvent de Saint-André, et y vécut dans la retraite, quoique libre de ses mouvemens. Les Anglais et les Gascons y passèrent la saison d’hiver en fêtes, dépensant follement, dit Froissart, l’or et l’argent qu’ils avaient gagnés à leurs rançons.

Les propositions de paix n’ayant abouti qu’à une trêve de deux ans, il fut décidé que le royal prisonnier serait transporté en Angleterre pour y être retenu jusqu’à la paix. Dans ce voyage d’outremer, il fut l’objet des égards les plus délicats de son jeune vainqueur, en compagnie duquel il fit une entrée en quelque sorte triomphale à Londres : le roi Jean, monté sur un grand blanc coursier, comme un seigneur suzerain, et le prince de Galles sur une petite haquenée noire derrière lui, à l’instar d’un vassal. C’est ainsi que le roi Jean fut convoyé tout au long de la ville de Londres, qui lui prodigua les acclamations. A l’hôtel de Savoie, où il prit gîte, « vinrent le voir le roi d’Angleterre et la roine, qui le reçurent et festoyèrent grandement, car bien le savoient faire, et depuis moult souvent le visitoient et le consolaçoient de ce qu’ils povoient[1]. » Le prince de Galles n’avait pas voulu quitter Bordeaux sans donner à Jean Chandos un témoignage public de sa gratitude. Par lettres patentes du 15 novembre 1356, rapportées dans Rymer, il lui fit don des deux parts de son manoir de Kirketon avec ses dépendances, à la charge par le capitaine anglais de bailler au prince la redevance annuelle d’une rose rouge à la fête de saint Jean-Baptiste. Cette gracieuseté du Prince Noir ne fut pas la seule dont Jean Chandos fut l’objet. Après le traité de Brétigny, Edouard III lui donna des terres considérables en Normandie ; il fut nommé régent d’Aquitaine, et tint grande maison en France, soit à Saint-Sauveur-le-Vicomte, soit à Bordeaux. Je ne parlerai point du butin immense qui partit de Bordeaux pour l’Angleterre après Poitiers. L’Angleterre

  1. Voyez Froissart, I, 2, chap. 55, p. 366-68, édit. du Panthéon. De l’hôtel de Savoie, le roi Jean fut peu après translaté au châtel de Windsor, où il vécut avec tous les agrémens attachés à cette résidence royale. De 1358 à 1359, le roi Jean habita le château de Somerton, dans le comté de Lincoln, et fit un court séjour au château de Herford. En 1360, il y eut quelques changemens et des rigueurs dont nous parlerons plus tard. M. le duc d’Aumale a publié une relation pleine d’intérêt du séjour du roi Jean en Angleterre.