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divine a un polythéisme exubérant. Prétendre, comme on l’a soutenu jusque dans ces derniers temps, qu’il y avait une religion philosophique pour les prêtres et les initiés, mais soigneusement cachée au vulgaire, c’est se payer d’une hypothèse gratuite que tout dément. Il y avait, en Égypte comme partout, des rites mystérieux, mais tous, même les esclaves, étaient admis à l’initiation. Les images, les symboles étaient expliqués pour tous, et l’écriture hiéroglyphique n’était nullement le secret d’une caste jalouse d’en garder la connaissance pour elle seule. La véritable explication doit être cherchée dans le génie profondément symbolique de ce peuple. L’esprit, pénétré de la tendance symbolique, précisément parce qu’il aime et comprend le symbole comme tel, et non comme une reproduction exacte de la réalité, accepte aisément les formes excentriques et même monstrueuses du moment qu’il trouve moyen par là d’exprimer avec énergie le sentiment ou l’idée dont il est frappé. Nous pouvons constater quelque chose de très analogue dans les apocalypses juives et chrétiennes, dont les descriptions figurées défient presque toujours la peinture moderne. De même la notion de l’unité divine se rapportait plutôt à l’idée de l’unité de l’être divin, abstrait, inaccessible, qu’à l’une quelconque de ces formes déterminées. Ainsi les mêmes adorateurs, qui prient souvent dans des termes qui ne seraient pas déplacés dans la bouche d’un prêtre de Jehovah, se révoltent quand un Apepi ou tel autre roi s’avise de vouloir concentrer toutes les adorations sur une seule des manifestations de l’être divin, c’est un procédé diamétralement opposé à celui qui fut suivi par le peuple d’Israël. Celui-ci du polythéisme passa à la monolâtrie, et de là au monothéisme. Du reste M. Tiele se croit en mesure de montrer qu’il y a plus de rapports qu’on ne pense d’ordinaire entre la religion égyptienne et les religions mésopotamiennes de la Chaldée et de l’Assyrie. Nous attendons avec une vive curiosité le résultat de ses recherches sur le champ nouveau, encore si peu connu, qu’il explore. La critique lucide et sobre des redoutables études dont la terre des pharaons est l’objet nous est une garantie qu’il réussira aussi à filtrer les eaux passablement troublées que des savans fort érudits, mais pas toujours très clairs, nous ont rapportées des bords de l’Euphrate et du Tigre.

albert réville.

C. Buloz.