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strumens. Beaucoup se prêtaient à ce singulier partage avec une espèce de candeur. Ils avaient pris pendant le siège des habitudes d’obéissance passive, et ils suivaient docilement, sans en scruter l’origine, les commandemens qui leur étaient transmis par leurs chefs. Les insurrections antérieures s’étaient organisées dans l’ombre; celle qui allait éclater avait reçu de l’état lui-même une organisation toute prête. L’empire avait tout fait pour accroître la séparation que les mœurs n’entretiennent que trop entre les ouvriers et les autres classes de la population. Il avait enserré le Paris bourgeois, dont il craignait l’esprit libéral, dans un Paris ouvrier. Le gouvernement de la défense nationale avait constitué une garde nationale ouvrière à côté et en dehors de la garde nationale bourgeoise. Tous les ouvriers ne sont pas acquis aux émeutes; mais il est certain qu’elles ne se recrutent guère que dans leurs rangs. Ils forment une population flottante, sans racines dans les villes qu’ils habitent, vivant au jour le jour, et, de tous les liens qui attachent l’homme à l’ordre social, ne connaissant que la famille, dont beaucoup même s’affranchissent sans scrupule. Ce n’est pas d’ailleurs une population éparse. Le cabaret les réunit après l’atelier. Le foyer domestique a rarement assez d’attraits pour les retenir. Ils vivent volontiers ensemble, s’entre tenant dans les mêmes sentimens, parfois généreux et patriotiques, le plus souvent haineux à l’égard de toute autorité publique et de toute supériorité sociale. La révolution du 4 septembre leur avait donné à Paris deux nouveaux centres de vie en commun, le club et le poste. Le second, à lui seul, tenait lieu de tous les autres. Il offrait un gagne-pain plus goûté que le travail de l’atelier; il avait pour l’oisiveté et pour la débauche toutes les séductions du cabaret; il se prêtait à toutes les excitations séditieuses des réunions publiques, et, pour ajouter au péril social, il était comme un club permanent et armé. M. de Bismarck n’était pas le seul qui eût prévu une nouvelle et imminente révolution dans cet armement universel. C’était seulement une prophétie prématurée. Jusqu’à la fin du siège, le patriotisme a dominé dans la très grande majorité des ouvriers parisiens. Il s’y mêlait d’étranges illusions, un immense orgueil et toute sorte de mauvaises passions; mais le sentiment général était la répudiation de tout mouvement qui n’avait pas directement pour but la délivrance de la patrie. Les agitateurs ne s’y trompaient pas. Ils laissaient dormir les questions politiques ou sociales; pour soulever le peuple, ils ne lui parlaient que des intérêts de la défense. Ce détour même était sans effet, la « populace » de Paris se faisait un point d’honneur de ne pas justifier l’insolente prédiction de l’ennemi. Une émeute fut très près de réussir le 31 octobre par l’incroyable imprévoyance du gouvernement; une autre fit couler le sang le 22 janvier : l’une et l’autre