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ne se laissaient ni effrayer par les menaces, ni duper par la feinte modération du pouvoir de fait qui siégeait à l’Hôtel de Ville. Ils refusaient des mains de ce pouvoir des élections municipales qui ne seraient que la consécration de la révolte.

Le jour où parut la déclaration de la presse, le 21 mars, la population elle-même fit directement une autre protestation collective d’un caractère plus significatif encore. Plusieurs centaines d’hommes sans armes parcoururent les principales rues de Paris, portant des drapeaux sur lesquels on lisait en grosses lettres : vive l’ordre! vive la république! vive l’assemblée nationale! à bas le comité! Leur nombre croissait à mesure qu’ils avançaient. Ceux même qui, soit timidité, soit hésitation légitime à faire, suivant une expression célèbre, « de l’ordre avec du désordre, » refusaient de se joindre à eux les saluaient des fenêtres. Sauf sur quelques points, les postes de gardes nationaux fédérés n’essayèrent pas de les arrêter. Nulle part leurs cris ne furent étouffés par des cris contraires. Or ce qu’ils criaient surtout à travers cette ville où l’on a prétendu que le gouvernement légal ne rencontrait qu’indifférence ou hostilité déclarée, c’était : vive l’assemblée nationale! Une démonstration plus imposante, sans armes encore, mais sous l’uniforme de la garde nationale, était annoncée pour le lendemain. Le parti vainqueur en vint à s’inquiéter. Un de ses organes, la Nouvelle République, invita les fédérés à disperser la manifestation par la force. Cette menace n’intimida pas les défenseurs de la légalité. On connaît la scène de carnage dont la place Vendôme fut le théâtre : des hommes pour qui le plus grand des crimes était de tirer sur une foule armée commandèrent un feu meurtrier contre une foule sans armes; c’était, suivant leur journal officiel, user des droits de l’autorité contre les « émeutiers. »

La guerre civile était engagée. Le parti de l’ordre, dont s’honore désormais de prendre le nom tout ce qu’il y a d’éclairé et d’honnête dans le parti républicain, n’en décline pas les cruels devoirs. Un vaste îlot est resté libre au cœur de Paris. Il s’étend des halles centrales à la gare Saint-Lazare, comprenant le second arrondissement tout entier et une partie du premier et du neuvième. Les gardes nationaux de ces quai-tiers y maintiennent des postes permanens qui en ferment l’accès à la rébellion, partout ailleurs triomphante. Dans plusieurs arrondissemens, les bataillons ou les portions de bataillon fidèles à l’assemblée nationale se réorganisent. Passant par-dessus les formalités légales, avec un esprit d’initiative plus rare à Paris que partout ailleurs, ils complètent leurs cadres, remplacent leurs chefs démissionnaires ou absens, et se réunissent en légions, à la tête desquelles ils aiment à placer quelques-uns de ces officiers supérieurs de marine que leur énergie pendant le siège a rendus si populaires. Ils ont leurs places d’armes au milieu des