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elle se soutenait surtout par la défiance et la haine dont les « Versaillais » étaient l’objet. J’ai entendu des gardes nationaux emprisonnés au nom de la commune, et qui n’avaient aucune raison de lui être attachés, s’écrier en montrant le poing : « Toute notre haine est pour Versailles ! » M. Guizot a dit excellemment : « Rien n’égale l’empressement des passions populaires à croire ce qui leur plaît et à excuser ce qui les sert[1]. » L’état de démence dans lequel a vécu une partie considérable de Paris sous la commune est résumé dans cette phrase. — Tous les griefs contre un gouvernement abhorré étaient acceptés aveuglément. On ne doutait pas de l’imminence d’une restauration monarchique; c’était un article de foi qu’il n’y avait pas autre chose dans l’armée adverse que « les zouaves pontificaux de Charette, les chouans de Cathelineau et les sergens de ville de Valentin; » on se rendait complice de toutes les atrocités attribuées aux suppôts de la réaction quand on en demandait la preuve. Auprès des crimes des à Versaillais, » les plus abominables excès des « communeux » passaient pour de peccadilles ou des actes de légitime défense. « On fait pire à Versailles, » disaient les plus modérés. C’était le thème habituel des journaux populaires, même de ceux qui ne craignaient pas de flétrir ou de railler les actes de la commune.

Un langage semblable se tenait parfois en des milieux où l’insurrection n’avait jusqu’alors rencontré qu’antipathie. Même en faisant la part des exagérations, le second siège rappelait le premier, éveillait des sentimens du même genre. Ceux qui en souffraient avaient quelque peine à distinguer d’un ennemi l’ami qui les tenait en partie bloqués, qui envoyait des obus sur leurs maisons, qui les menaçait d’une prise d’assaut suivie d’une affreuse boucherie dans leurs rues barricadées, qui les exposait enfin à toutes les conséquences de l’exaspération de leurs coassiégés. De là une disposition trop répandue à placer sur la même ligne la commune et le gouvernement légal; de là cette forme comminatoire sous laquelle se produisaient de nouvelles tentatives de conciliation. Repoussés à l’Hôtel de Ville avec plus de hauteur qu’à Versailles, les promoteurs de ces tentatives ne montraient d’égards que pour le pouvoir insurrectionnel : ils lui empruntaient presque tout son programme, ils affectaient, en lui adressant leurs requêtes, une certaine confiance en sa sagesse; à peine osaient-ils se plaindre de son refus. Versailles au contraire était menacé du soulèvement de tout Paris, s’il rejetait un seul article d’un traité de paix qui eût été le complet anéantissement des droits de la France sur sa capitale. L’esprit révolutionnaire dictait seul ces propositions : plus d’un défenseur de la com-

  1. Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre.