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qui n’étaient pas d’ailleurs l’objet de recherches bien rigoureuses. Les fédérés tenaient peu à incorporer de force des bourgeois dans leurs rangs; ils n’étaient impitoyables que pour les ouvriers réfractaires. La résistance à leurs ordres et la fermeté devant leurs menaces sont particulièrement méritoires chez des hommes dont la défaillance eût pu avoir l’excuse non-seulement de la contrainte, mais de l’ignorance et de l’exemple. Beaucoup, pour échapper à un service odieux, n’ont pas hésité à quitter leur mansarde, leur famille, leur travail. Trop pauvres pour émigrer, ils se réfugiaient dans d’autres quartiers, s’y tenaient cachas, et n’en sortaient que le soir, de temps en temps, pour venir, au risque de leur vie, se retremper auprès des êtres chéris dont ils s’étaient séparés par devoir. Combien ont été surpris, et, plutôt que de céder, ont accepté la prison, plus d’une fois même la mort immédiate sans procès ! Pendant les derniers combats surtout, les arrestations, les fusillades sommaires, se sont multipliées pour ceux qui refusaient de monter sur les barricades. On ne distinguait plus alors entre les ouvriers et les bourgeois, entre les jeunes gens et les hommes mûrs; on prenait quiconque s’aventurait dans les rues, on fouillait même les maisons.

Dans cette suprême agonie de la guerre civile, le domicile privé n’était pas seulement violé pour rechercher les réfractaires. Une surveillance inquisitoriale était exercée sur les maisons pour assurer l’exécution d’ordres arbitraires; des hommes armés y pénétraient sous le moindre prétexte, se faisaient tout ouvrir sans plus de respect pour les propriétés que pour les personnes. Dans beaucoup de maisons, l’invasion a pour but de tirer par les fenêtres sur les troupes; dans plus d’une, elle apporte l’incendie. Un grand nombre d’appartemens dont les locataires ont fui n’ont pour gardiens que les concierges ou des domestiques : s’il y a eu des actes de faiblesse, parfois même des actes de trahison parmi des hommes sans éducation chargés d’une si redoutable responsabilité, beaucoup ont fait preuve d’un rare dévoûment, et, si les ravages n’ont pas été plus considérables, on le doit surtout à leur présence d’esprit et à leur énergie. Les classes inférieures, comme toujours, ont fourni à l’insurrection le plus fort contingent; il n’est que plus juste de rappeler les grands exemples qu’elles ont donnés.

C’est aussi aux classes inférieures qu’il faut faire honneur de la fidélité et du dévoûment qu’ont montrés presque sans exception, sous la commune, les serviteurs subalternes de l’état. La plupart étaient restés à leur poste du consentement formel ou tacite de leurs chefs. Leur conscience n’était pas engagée dans les services tout matériels que pouvaient exiger d’eux les usurpateurs des fonctions publiques, et eux seuls pouvaient protéger utilement de précieux intérêts. Placés entre leurs anciens et leurs nouveaux chefs,