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souvent, à voir leurs nombreuses escortes, la hâte de leurs aides-de-camp à retenir pour leurs quartiers-généraux les châteaux et les fermes qui eussent pu servir de cantonnemens à des bataillons entiers, alors que l’armée était obligée de bivouaquer, souvent sans abri, sans paille et sans bois, sous la neige et dans la boue, bien des murmures s’élevaient dans nos rangs contre tant d’insouciance pour les uns, tant d’égoïsme chez les autres, — murmures trop légitimes, si l’on songe que souvent aussi, à ces rudes bivouacs et pendant ces longues nuits d’un hiver rigoureux, nos hommes n’eurent pas même les vivres de première nécessité.

Cette disposition des esprits ne tenait pas seulement aux causes que nous avons cherché à exposer ; elle se rattachait par des liens tout naturels à la situation de la France, aux tristesses de nos revers, aux douleurs de l’invasion, et aussi aux espérances fiévreuses que des bulletins, hélas ! mensongers et trop vite démentis nous laissaient concevoir. Lorsque, abandonnant la région de l’est, nous apprîmes que nous allions rejoindre l’armée de la Loire après la reprise d’Orléans, nous avions hâte de prendre part à ses glorieux efforts. En voyant le temps d’arrêt qui suivit la victoire de Coulmiers, nous crûmes que le plan général reposait sur cette donnée de simple bon sens : là où 100,000 hommes, 150,000 hommes ne passent pas, 200,000 hommes font leur trouée, et nous étions pressés d’aller grossir notre armée d’un nouveau corps de 35,000 hommes, résolus à tout pour la réussite de ce plan. Plus tard, quand, après, avoir rencontré le 18e corps en formation à Gien, nous le vîmes entrer en lice, quand nous-mêmes, on nous envoya camper à Bellegarde sans nous donner un seul de ces objets les plus indispensables qui nous manquaient depuis si longtemps, et qu’on nous avait tant de fois promis, nous expliquions cette hâte par la nécessité de marcher au plus vite au secours de Paris affamé, et nous vivions dans l’attente de ce grand jour où allait se décider le sort de la France. Ce jour-là, tous nous étions prêts à faire notre devoir ; mais, si l’on tient compte de nos longues épreuves, de cette anxiété patriotique, de notre inexpérience militaire, on doit comprendre que tout dépendait de notre première bataille. Victorieuse, l’armée puiserait dans la victoire tous les élémens d’autres succès ; vaincue, elle rejetterait sur ses chefs, avec la certitude d’avoir fait ce qui dépendait d’elle, toute la responsabilité de la défaite, et ne les suivrait plus avec confiance dans de nouvelles entreprises.

Cette journée, pour nous décisive, fut celle du 28 novembre 1870. Notre première bataille fut celle de Beaune-la-Rolande, et malheureusement ce fut un échec.