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sert pour ainsi dire de vestibule à l’Océan-Arctique, dont elle subit directement l’influence; mais une influence opposée, celle du gulf-stream, vaste courant d’eau chaude, le plus puissant de ceux qui partent de l’équateur, s’y fait sentir également, de manière qu’à l’entrée du canal islando-norvégien le chaud et le froid, l’humidité tiède et l’humidité glacée, les brumes épaisses et les tourmentes de neige, les vagues venues de la ligne et les glaces arrivées du pôle, les vents du sud et les vents du nord, se livrent d’épouvantables combats, comme dans une arène toujours ouverte. On sera surpris des effets que des phénomènes aussi grandioses engendrent au sein des eaux ; à la surface et dans l’atmosphère, ils ne sont pas moins saisissans, et tous les voyageurs en ont été vivement frappés. Un ciel bas et lourd, drapé d’un rideau de brumes flottantes, déchiré par des orages, ruisselant de pluies, battu par des tourmentes, — des archipels aux massifs hardiment découpés, aux roches abruptes, aux pentes noires plaquées d’une verdure métallique, mais sans arbres, sans chaleur, quelque chose de neutre, de profondément triste, un aspect partout désolé : tel est le fond du tableau et l’impression qui se dégage de la vue des Orcades, des Shetland et des Féroe. Cette impression, les habitans mêmes la portent sur leur visage : elle s’explique, si l’on précise certaines particularités.

Le climat accuse une moyenne annuelle d’environ 7°,5[1]; il est doux en hiver, puisque la moyenne de cette saison dépasse 3 degrés (3°,61 pour les Féroe); mais les étés y sont sans chaleur, les brumes, les orages, les tourmentes, occupent les trois quarts de l’année, et découvrent rarement le soleil. Les vents du sud et ceux du sud-ouest répondent à ceux du nord-ouest, et la lutte se prolonge presque sans aucune trêve; les marées y sont formidables : les tournans ou swelchin et les roust font bouillonner les flots et tourbillonner les navires. Sur les terres, le spectacle est singulier : malgré l’absence de froids rigoureux, malgré l’humidité constante de l’atmosphère, malgré l’incomparable verdure des pentes gazonnées, l’agriculture est chétive, les légumes sont rares et maigres, les fruits presque nuls. Aucun arbre, pas même le bouleau, n’y est indigène, et ce n’est qu’avec des soins infinis que l’on élève à l’abri des murs le sorbier des oiseleurs et le frêne. Le pin de Norvège lui-même, dit M. Martins, n’a jamais vécu plus d’un an aux Shetland; le chêne et le hêtre périssent encore plus vite. Cette nature, si peu féconde par défaut de chaleur, ne manque cependant ni de charme, ni de caractère. Partout ruissellent du haut des pentes rapides, à travers les tapis d’émeraude qui les recouvrent, d’innombrables

  1. Orcades, 7°, 71; — Shetland, 7°,07; — Féroe, 7°,31. — Ces chiffres sont extraits des Voyages en Scandinavie, en Laponie et au Spitzberg, de la corvette la Recherche. -Géographie physique, par M. Martibs, t. II, p. 553 et suiv.