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sonnalité en toute chose. La peinture de genre est le véritable domaine de l’art anglais : au fond de tout tableau, vous trouvez une anecdote, une scène susceptible d’être racontée, et c’est la grande préoccupation du peintre anglais, qui sacrifie volontiers les qualités purement pittoresques à l’esprit de la narration, au piquant de l’idée qu’il s’efforce de traduire par son pinceau.

Cette tendance, qui donne à l’art un but spécial et autre que lui-même, existe dans la peinture anglaise depuis Hogarth, le représentant le plus décidé des doctrines que nous signalons, et qu’il a fait prévaloir dans son pays. Avant de faire des tableaux, Hogarth avait été graveur sur métaux, et son goût pour le dessin se manifestait dès son enfance, comme chez tous les artistes doués d’une véritable vocation. Un jour, étant apprenti, il fut témoin dans un cabaret d’une rixe entre deux ivrognes : les combattans ruisselaient de sang, et rien ne pouvait arrêter leur fureur. L’enfant était trop petit pour oser intervenir, et pleurer n’eût servi de rien. Il prit un crayon, et dessina la scène qu’il avait vue; puis, content de ce qu’il avait fait, il alla montrer son ouvrage à ses camarades, disant avec une conviction entraînante que, si on pouvait afficher son dessin dans tous les cabarets du monde, personne ne voudrait plus se laisser aller à l’ivrognerie. Depuis, on l’entendait sans cesse répéter : Je serai utile, je serai utile. Sa vocation était décidée, et, quand on étudie son œuvre comme artiste, on voit qu’il n’a jamais dévié un seul instant de la voie qu’il s’était tracée dès son enfance.

Voulant stigmatiser tous les vices et traduire tous les ridicules, Hogarth ne reculait pas devant la laideur, et l’expression chez lui touchait à la caricature. L’école anglaise contemporaine a modifié ce point de départ dans une certaine mesure. à y a en Angleterre un genre de beauté placide, particulière aux femmes de ce pays, et que les peintres sont très jaloux de n’altérer en aucune façon. L’art, voulant à la fois chercher l’expression, qui fait le fond des doctrines esthétiques en Angleterre, et maintenir chez la femme la quiétude des traits, est tombé dans un compromis bizarre : chez les hommes, la contraction du visage est souvent poussée jusqu’à la grimace, tandis que les femmes sont dépourvues de toute expression et semblent même complètement inanimées. Non-seulement les peintres donnent aux femmes un visage insignifiant, mais ils reproduisent le même type uniformément; c’est comme un cliché qu’on retrouve dans tous les tableaux anglais. Ce type n’est ni la beauté sculpturale de l’antiquité, ni la physionomie vive et sémillante que nos peintres français ont traduite avec tant de charme. Il représente non pas une femme, mais une jeune fille de quatorze à dix-huit ans, une young lady au teint frais, au petit nez droit, aux