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en est d’autres qui vinrent la fortifier, et que nous ne pouvons passer sous silence. A quatre heures et demie, le jour du combat de Beaune-la-Rolande, le 18e corps, vainqueur à Juranville, débouchait à notre droite, et aux cris mille fois répétés : en avant! en avant! prenait part à l’action principale. Malheureusement les feux de ses bataillons ne furent meurtriers que pour nos soldats groupés autour des maisons extérieures du village, et trois fois il avait fallu répéter la sonnerie : cessez le feu ! pour mettre fin à cette cruelle méprise. Enfin, le matin même du 28, le zouave Jacob fut surpris par le colonel Vivenot au moment où il revenait des avant-postes ennemis. Dans un interrogatoire sommaire, il fut constaté que depuis trois mois, chaque nuit, ce misérable allait rendre compte aux officiers prussiens qui éclairaient notre marche de la situation exacte de nos troupes. À cette époque, la croyance à la trahison, la défiance qu’elle entretenait, n’étaient que trop justifiées par tant de projets avortés, par tant de résolutions tenues pour secrètes, et que déjouait la vigilance de l’ennemi. Ici d’ailleurs la trahison était manifeste. Cet espion, caché sous l’uniforme de nos zouaves, était-il le seul? Que pouvions-nous encore contre la trahison de nos compagnons d’armes, contre l’insouciance, l’abandon même de nos chefs? Mourir? Tous le voulaient la veille du combat de Beaune-la-Rolande, avec l’espérance de vaincre et de contribuer à la délivrance de la patrie; seuls, ceux qui ne voyaient que le devoir le voulaient encore le lendemain, mais ils le voulaient sans illusion et sans espérance.


III.

Le combat ou plutôt la bataille de Beaune-la-Rolande (le chiffre élevé des troupes qui prirent part à l’action, celui des blessés, l’importance des résultats, lui méritent ce nom) fut pour le 18e et surtout le 20e corps ce que dans leur langage expressif les soldats appellent un coup de chien. Après un pareil effort, les troupes, même les plus aguerries et les plus confiantes, ont besoin de quelques jours de repos pour se retrouver, ou tout au moins de sentir que, pour n’avoir pas été couronnés par la victoire, leur dévoûment et leurs efforts n’ont pas été stériles, et ont servi la cause générale. L’annonce d’un succès dû à ces efforts, une marche en avant, peuvent seuls effacer l’impression de leur échec personnel. Par malheur, rien ne détruisit dans l’esprit de nos soldats les impressions que nous avons essayé de faire comprendre. Tout vint au contraire les confirmer. Une proclamation de M. Gambetta annonça bien, il est vrai, que nous avions Oté victorieux, et, par une singulière dérision à l’adresse du 20e corps, qui seul avait porté le poids de la