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pouvaient plus agir qu’isolément. On en forma deux armées distinctes, mais chacune d’elles était désormais inférieure en nombre à la grande armée allemande, comme elle l’était depuis longtemps par l’organisation, la discipline et surtout la confiance qu’engendre le succès. Les premiers coups du prince Frédéric-Charles tombèrent sur le 16e corps. Cela devait être.

Le 16e corps couvrait Blois, Tours et toute cette partie de la France la plus riche et aussi la plus ouverte à l’invasion, tandis que Bourges, défendue par de sérieux ouvrages, armée de pièces de marine, offrait à l’armée de Bourbaki le premier point d’une résistance qui pouvait énergiquement se continuer dans les collines du Morvan et les défilés de l’Auvergne. Néanmoins, dans l’incertitude des résolutions que prendrait l’ennemi, et lorsque la deuxième défaite du 15e corps à Salbris lui permettait de nous tourner pour nous acculer à la Loire, le mouvement de concentration de toutes nos forces à Bourges était impérieusement commandé; ce mouvement, exécuté avec une hâte trop justifiée par toutes ces considérations, peut donner une mesure exacte de la cohésion, de l’ordre des différens corps qui formèrent plus tard la seconde armée de l’est, qui fut se briser devant Héricourt. Sur 2,600 hommes du régiment des Deux-Sèvres, 500 répondaient seuls à l’appel en arrivant à Bourges; des 1,200 hommes du bataillon de Savoie, 50 avaient pu seuls suivre leur énergique commandant, et c’étaient là des corps d’élite. La neige d’ailleurs n’avait cessé de tomber pendant cette longue marche de vingt-quatre heures, dépensées à franchir les 56 kilomètres qui séparaient nos bivouacs, près d’Argent, de nos premiers cantonnemens, à Bourges. Malgré la neige, les chemins étaient couverts de verglas, et ce fut un miracle que notre artillerie pût suivre, même au prix de la moitié de ses chevaux. Aussi le général en chef ne faisait-il qu’obéir aux dures exigences de la réalité quand il répondait à une dépêche de M. Gambetta, lui enjoignant impérieusement de partir à l’heure même de Bourges, le 10 décembre, pour secourir Blois, où tombaient les premiers obus prussiens, et le général Chanzy, dont la position était sérieusement compromise : « L’armée ne peut partir, car, si je me mettais en route, j’arriverais peut-être de ma personne, mais sûrement sans un seul homme et sans un seul canon. »

Ce que nous venons de raconter est la vérité, la vérité que nous avons vue, mais dont nous n’avons pas dit tous les détails navrans. Quant à la France, voici la vérité qu’on lui disait :