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faux. Ces marins, je puis l’affirmer, eussent, tout comme les autres, énergiquement condamné et combattu l’insurrection. Nos bataillons de marche faisaient partie des 12,000 hommes qui après l’armistice obtinrent de rester armés ; un mois plus tard, lorsque nous fûmes sur le point de quitter Paris, on nous retira ces armes, nécessaires surtout aux troupes qui demeuraient, et pendant quelques jours nos sentinelles montèrent la garde autour de la caserne de la Pépinière, n’ayant à la main qu’un bâton de tente pour écarter les curieux. Un homme vint à passer, un de ces gamins vieillis, comme on en voit trop dans les jours d’émeute, les yeux creux, le visage inculte, la voix cynique et éraillée. — Oh ! ces fusils de fer-blanc ! dit-il en ricanant. Le marin se sentit froissé, et, relevant fièrement la tête, repartit aussitôt : — C’est avec ces fusils-là pourtant qu’on pourrait vous allonger des coups de bâton. — J’adoucis un peu l’expression. Sans en attendre davantage, l’homme se hâta de disparaître, poursuivi par les risées de la foule.

Il s’en faut cependant que la population parisienne nous vît de mauvais œil. Bien au contraire, par tous les moyens possibles, elle cherchait à nous témoigner sa sympathie et sa reconnaissance. Paris offrait alors un curieux spectacle : on eût dit un camp immense regorgeant de soldats, d’officiers surtout. Aux tables des cafés et des restaurans se rencontraient les costumes les plus bizarres et les plus coquets : partout des plumes, des soutaches, des aiguillettes et des galons ; mais aucun uniforme, si brillant qu’il fût, n’attirait l’attention comme le grand col bleu et le petit bonnet du matelot. C’était justice, on les voyait si peu ! Les journaux ni tarissaient pas d’éloges pour ceux qu’ils appelaient toujours les « braves marins. » Dans les rues, les petits enfans nous suivaient en chantant à tue-tête sur un air connu :

Les marins de la république
Montaient le vaisseau le Vengeur !

« Vive la marine ! » nous disaient les bourgeois en passant, et plus d’une fois, dans les cafés et dans les cantines qui s’étaient établis le long des boulevards, lorsqu’un matelot tirait son argent pour payer : « Les marins ne paient pas, » lui répondait-on. Un matin de janvier, — le 13, je n’ai pas oublié la date, — nous suivions au nombre de cinq cents les boulevards extérieurs ; nous revenions du Moulin-de-Pierre, où quelques jours auparavant, dans une audacieuse reconnaissance, les marins avaient surpris tout un poste ennemi ; mais cette seconde fois l’ennemi, sur ses gardes, avait prévenu et repoussé l’attaque. Six heures durant, nous restâmes accroupis derrière le remblai du chemin de fer de l’Ouest, au milieu d’une pluie d’obus qui écrêtaient les murs au-dessus de nos têtes, et par un