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heures, tout à coup le feu cesse ; nous n’avions rien prévu de semblable. Le canon de l’armée se taisait au moment où celui de la flotte allait parler.

Déjà en effet accourait du mouillage de la Katcha l’escadre de l’amiral Hamelin. Une brume épaisse l’avait jusqu’alors dérobée à nos yeux. Nous nous hâtons. Les vaisseaux à voiles et les frégates à vapeur s’accouplent ; les vaisseaux à hélice appareillent. La corvette le Pluton éclaire la route ; le Charlemagne et le Montebello arrivent les premiers sous le canon des forts. Des boulets ont fait jaillir l’eau près de nous. Une forte secousse ébranle le vaisseau. C’est un obus qui vient de traverser la dunette sous les pieds mêmes de l’amiral. D’autres obus sifflent dans la mâture ou frappent à la flottaison. Des boulets rouges ont mis trois fois le feu à bord. Debout sur les parapets, les canonniers russes rechargent leurs pièces. Nous jetons l’ancre enfin, et nous travaillons à nous embosser. Les escadres alliées se développent lentement sur deux rangs endentés. Quatorze vaisseaux français, dix vaisseaux anglais et deux vaisseaux turcs forment autour des fortifications de Sébastopol un double croissant qui s’étend des batteries de la Quarantaine aux batteries du Télégraphe. On se bat au milieu d’une fumée intense. L’Agamemnon, que monte l’amiral Lyons, a pénétré dans un des replis du récif qui défend, mieux encore que les feux croisés des deux rives, l’entrée de la rade de Sébastopol. Il mouille à 760 mètres du fort Constantin. Le Sans-Pareil et le London ont suivi l’Agamemnon. Cette division se trouve assaillie par des feux plongeans ; elle appelle bientôt de nouveaux vaisseaux à son aide. Le Rodney le premier répond à ce signal ; malheureusement il va donner sur l’extrémité du récif. L’Albion, le Queen, le Bellerophon, se sont approchés à leur tour. Vigoureusement attaqué par les vaisseaux anglais et par quelques-uns des vaisseaux de notre aile gauche, le fort Constantin chancelle sous ses trois étages de batteries. Les hauteurs du Télégraphe n’en font pas moins pleuvoir sur le détachement que commande l’amiral Lyons une grêle de projectiles. La moitié de la flotte anglaise ne peut plus avoir qu’une pensée : sortir du mauvais pas où l’audace de son chef l’a conduite. Des frégates se dévouent et enlèvent le Rodney du banc sur lequel, au début de l’action, ce vaisseau s’est échoué. Aucun trophée ne restera entre les mains de l’ennemi, mais oe n’est pas de ce côté que le feu des Russes sera éteint.

Le Charlemagne, le Montebello, le Friedland, la Ville-de-Paris, le Valmy, le Henri IV, le Napoléon, ont attaqué les forts du sud. Ils sont appuyés par l’Alger, le Jean-Bart, le Marengo, la Ville-de-Marseille, le Suffren, le Bayard, le Jupiter, qui tirent dans les créneaux de la première ligne. Les hauts-fonds dont la ligne d’embos-