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pèrent alors la marine : un détachement d’élite monta la garde devant Sébastopol, le reste des flottes se dévoua sans réserve à la tâche laborieuse d’approvisionner l’armée.


V.

Le vice-amiral Hamelin avait été promu au grade d’amiral, juste récompense d’un grand service rendu avec le plus loyal dévoûment. Il y a double mérite à contribuer si bien au succès d’une opération quand on n’a cessé de la déconseiller et d’en montrer avec insistance les périls. La dignité d’amiral ne se prêtait pas à un rôle secondaire, et le rôle principal devait appartenir désormais à l’armée. Le 24 décembre, l’amiral Hamelin remit le commandement en chef au vice-amiral Bruat, et le lendemain matin il partait pour Constantinople. Le vice-amiral Dundas venait d’être également remplacé par le contre-amiral Lyons. Les gouvernemens déçus dans des espérances trop promptes fondent toujours un certain espoir sur l’emploi d’hommes nouveaux ; mais l’instabilité du commandement est un pauvre remède, bien que ce remède plaise généralement à la foule. La situation dont nous héritions n’était pas de celles dont on sort par un trait de génie ; elle demandait beaucoup de persévérance.

Les tranchées étaient inondées, et la construction des nouvelles batteries avançait lentement. Les travaux de l’ennemi nous commandaient cependant de nous hâter. Les Russes, quand nous ne marchions pas sur eux, marchaient sur nous. Plusieurs de leurs ouvrages prenaient déjà les nôtres en écharpe. Les transfuges nous parlaient, il est vrai, du découragement qui régnait dans la place. À les en croire, la ville ne résisterait pas à un assaut. Les soldats étaient mal nourris, mécontens, harassés de fatigue. Les marins, mieux soignés par leurs officiers, souffraient surtout du feu violent auquel on les tenait constamment exposés. On citait des équipages de 1,000 hommes qui se trouvaient déjà réduits à 250. On ne voit à la guerre que ses propres misères ; combien de fois s’est-on retiré devant un ennemi qui se disposait à céder ! Les déserteurs exagéraient sans doute les facilités que rencontrerait un assaut ; ils ne nous trompaient pas quand ils nous entretenaient de la détresse qui régnait dans Sébastopol. Si une des deux armées devait user l’autre, c’était à coup sûr l’armée qui restait maîtresse absolue de la mer. Les ressources qui affluaient à son camp par ce chemin facile lui donnaient une puissance de résistance et de renouvellement bien supérieure à celle de l’armée ennemie. Nos pertes cependant étaient considérables. Dans le seul mois de novembre, on avait évacué sur les hôpitaux de Varna et de Constantinople 5,000 blessés ou malades ; mais c’était déjà beaucoup de pouvoir