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brisés entre la France et la race hellénique, qu’on oublierait en Grèce et le dévoûment de Fabvier et le courage de notre armée expéditionnaire, pour ne se souvenir que des griefs récens. Qui eût été témoin de l’explosion de joie avec laquelle une partie de la population athénienne accueillit l’année dernière la nouvelle de nos premiers malheurs en aurait conclu que les Grecs nous haïssaient autant qu’ils nous avaient aimés autrefois. Au premier moment, la foule, irritée contre notre gouvernement, ne fit pas de distinction entre l’empire et la France, et se félicita des revers de la politique impériale.

Ce mauvais sentiment, la diplomatie russe, qui dévoilait dès le début ses intelligences avec nos ennemis, essaya de l’entretenir en même temps qu’elle commençait la propagande la plus active au profit de l’Allemagne. Il eût suffi de lire au mois d’août 1870 un seul numéro du Siècle, journal d’Athènes dévoué à la Russie, pour deviner que cette puissance avait déjà pris parti contre nous pour la Prusse. On y annonçait aux Hellènes que le rôle de la France était fini dans le monde ; on les engageait à ne plus tourner leurs regards de notre côté, — à tout attendre dans l’avenir des sympathies de la Russie, qui, de concert avec l’Allemagne, résoudrait un jour la question d’Orient en faveur des Grecs ; on découvrait même, grâce aux notes que la légation de Prusse communiquait sans doute au journal grec, que les Prussiens étaient d’ardens philhellènes, et que le baron de Stein avait plaidé autrefois la cause de la Grèce auprès des puissances européennes. Pour nous porter le dernier coup, les partisans de la Russie relevaient soigneusement toutes les marques de sympathie que la politique française avait données aux Turcs, ces éternels ennemis de la Grèce. Il n’était pas jusqu’à l’alliance de François Ier et de Soliman qui ne nous fût reprochée comme un crime envers la race hellénique ; l’inspiration de la Prusse se reconnaissait sans peine au pédantisme de ce dernier trait.

Le peuple grec heureusement ne persista point dans le premier mouvement de colère qui lui avait fait accueillir avec joie la nouvelle de nos désastres. Dès qu’il eut exhalé son ressentiment contre la politique impériale et savouré le plaisir de la vengeance, il se rappela ce que la France avait fait pour lui à d’autres époques. La sympathie pour nos malheurs succéda bien vite à la satisfaction que lui causait l’écroulement de l’empire. Il y eut alors une série de manifestations touchantes et comme un élan de toutes les forces généreuses de la Grèce vers la nation française. On ne pensa plus qu’à nos souffrances, au caractère impitoyable de la guerre qui nous était faite, au bombardement de nos villes, à l’énergie que la population déployait dans la résistance, au courage avec lequel