Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tions, formaient une masse honorable et puissante qui n’avait aucune peine à être à la fois libérale et monarchique, à confondre dans les mêmes opinions, dans les mêmes sentimens, sa loyauté envers son prince et sa fidélité aux idées de liberté, de souveraineté nationale, qui sont devenues l’essence intime de la France moderne. Les légitimistes avaient l’ambition assurément très noble et très politique d’être, au nom d’un chef qui ne les avait pas encore désavoués, les négociateurs d’un nouveau traité d’alliance entre le principe de la monarchie traditionnelle et la France fatiguée de révolutions. Ils auraient réussi ou ils n’auraient pas réussi ; c’était dans tous les cas leur raison d’être et leur force. C’est dans ces conditions qu’ils existaient comme parti actif et militant, qu’ils avaient repris un rang et une influence dans les affaires publiques. Dès ce moment et par suite de la rupture qui vient de s’accomplir, tout est changé. Le prince dont le parti légitimiste semblait le mandataire a retiré ses pouvoirs, la négociation est rompue. Ce qui reste, c’est d’un côté le principe de la légitimité redevenu une abstraction ou une relique de l’histoire, ou, si l’on veut, un drapeau sans armée, et d’un autre côté un parti simplement conservateur, une sorte de torysme indépendant, ne relevant désormais que de lui-même, dégagé du lien qui le rattachait à un chef reconnu, libre de se porter à la défense du pays selon son inspiration.

Que cette rupture soudaine et éclatante ait dû être une épreuve cruelle pour des hommes sincères, qui mêlaient peut-être d’ailleurs quelques illusions à leurs opinions et à leurs espérances, oui sans doute ; mais ce qui est bien certain, c’est qu’en acceptant cette épreuve sans faiblesse, sinon sans émotion, en se prononçant avec cette netteté, les légitimistes, qu’on appelle déjà des dissidens, ont montré le plus ferme et le plus sérieux esprit politique. Ils ont accompli l’acte d’un parti digne d’avoir une action dans les affaires du pays. Ils ont témoigné pratiquement de leur sincérité en prouvant que lorsqu’ils parlaient de la souveraineté nationale, lorsqu’ils réservaient ses droits, ils ne disaient pas un vain mot. Ce qui sortira de là, ce qui pourra se former de combinaisons nouvelles, on ne peut guère le pressentir encore ; on ne peut distinguer qu’un i"ait bien clair, c’est que politiquement cette crise intime et profonde du parti légitimiste a une conséquence immédiate et des plus sérieuses au point de vue de la pacification du pays. Elle simplifie et allège eu quelque sorte la marche des choses, elle dissipe tous ces fantômes de restauration monarchique dont l’évocation perpétuelle n’avait d’autre effet que d’entretenir une agitation factice ; elle fait enfin plus que jamais de la situation actuelle le rendez-vous de toutes les bonnes volontés, de toutes les forces libérales et conservatrices. En tout ceci, à vrai dire, la victoire est au pacte de Bordeaux, à M, Thiers et à la politique qu’il représente.