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Semblable à tous les seigneurs de France, son autorité était exactement de même nature que la leur. Comme eux et au même titre, il remplissait le devoir de justice sur les personnes qui relevaient de lui ou qui étaient couchans et levans sur sa terre.

Or le roi n’était pas seulement le chef de la hiérarchie des seigneurs; il était seigneur à tous les degrés de la hiérarchie, car il possédait en propre, outre la dignité royale, un duché, des comtés, des baronnies, des châteaux, des villes et des villages. En même temps que roi, il était duc, comte, baron, châtelain d’une foule de lieux. A chacune de ses situations diverses était attaché un droit de justice particulier. Il jugeait ses paysans et ses bourgeois à titre de seigneur châtelain; il jugeait ses gentilshommes à titre de baron, et ses barons à titre de comte ou de duc; si l’un des plus hauts feudataires de France était en cause, alors seulement il jugeait à titre de roi, c’est-à-dire comme seigneur suzerain des ducs et des comtes. Son autorité judiciaire avait les mêmes échelons et les mêmes degrés que son autorité politique.

A tous ces degrés, sa justice avait un caractère purement seigneurial, et elle était rendue suivant les mêmes procédés et les mêmes règles que dans tous les tribunaux seigneuriaux du degré correspondant. La loi du jugement par les pairs s’imposait au roi comme à tous les seigneurs. Les historiens mentionnent fréquemment un haut tribunal composé de grands vassaux et qu’ils appellent spécialement la cour des pairs; mais tous les tribunaux où le roi rendait la justice par lui-même ou par ses représentans, tous, depuis la cour de baronnie jusqu’aux cours de villages, étaient alors des cours des pairs; car tous devaient être formés, ainsi que nous l’avons montré dans une précédente étude, de la réunion des justiciables de même rang et de même condition sociale que l’accusé. Le seigneur présidait, mais c’étaient les égaux et les pairs de l’accusé qui prononçaient[1].

Cette organisation judiciaire du moyen âge paraît, de loin, fort compliquée et fort confuse. Elle était en réalité très simple; elle découlait tout entière d’un principe unique qui s’appliquait à toutes les situations diverses que comprenait cette société hiérarchiquement constituée. Quelques exemples rendront cette vérité frappante. Prenons le cas où l’accusé était un duc de Normandie ou un comte de Champagne, c’est-à-dire un vassal direct du roi de France. La règle était qu’il fût jugé par ses égaux sous la présidence du suze-

  1. Il n’est pas inutile de rappeler que le mot pairs, dans la langue usuelle du moyen âge, s’appliquait aux bourgeois et même aux paysans entre eux, aussi bien qu’aux gentilshommes. Aussi le jugement par un jury d’égaux était-il de règle pour toutes les classes.