les distinguer. Des ondulations du terrain, puis des traînées de fumée nous les cachaient. Le soir au bivouac, j’appris qu’on les avait menés devant le mur crénelé d’un par cet qu’on n’eut jamais la pensée d’abattre à coups de canon. L’attaque de ce mur avait, me dit-on, coûté 670 hommes au régiment, tant tués que blessés. Un officier que j’avais rencontré à a frontière y avait eu le ventre emporté par un obus. Je n’en étais pas encore aux réflexions mélancoliques, je ne pensais qu’à la bataille ; le canon faisait rage. L’action la plus violente était engagée sur notre droite. Nous ne perdions pas un des mouvemens qui se passaient sur les crêtes qui couronnent la Marne. Un grand nombre de soldats disposés en tirailleurs rampaient çà et là. Un rideau de fumée les précédait ; mais au-delà tout se confondait. Qu’avions-nous au loin devant nous, des Français ou des Prussiens ? Les uns et les autres peut-être ; mais où étaient les pantalons rouges et les capotes noires ? À cette distance, les couleurs s’effaçaient, et nos officiers, qui n’avaient pas de lorgnettes, ne pouvaient faire que des conjectures. Ne savais-je pas déjà que les officiers de l’armée de Sedan n’avaient pas plus de cartes que n’en avaient eu ceux de l’armée de Metz ?
Cette indécision, les artilleurs du fort de Nogent la partageaient. Ils ne savaient pas de quel côté faire jouer leurs pièces, et il arriva même qu’un obus lancé un peu au hasard vint tomber au milieu d’une colonne de mobiles qui s’efforçaient de débusquer des tirailleurs prussiens répandus sur le coteau. Il y avait dans le bataillon des trépignemens d’impatience. La batterie qui tirait sur notre front appuyait le travail des pontonniers qu’on voyait sur les deux rives et dans l’eau, ajustant les barques et les cordes ; nous avions repris nos sacs. Trois mitrailleuses furent amenées sur le bord de la Marne et fouillèrent les taillis qui nous faisaient face sur la rive opposée. On voyait sauter les branches et des paquets de terre ; rien n’en sortit. On nous avait dissimules derrière des maisons. Les ponts étaient prêts. — En avant ! crièrent nos officiers.
C’était à la 1re compagnie qu’appartenait le périlleux honneur de prendre la tête de la colonne. Le général Carré de Bellemare et son état-major nous précédaient. Le pont plia sous notre marche. Je ne sais pourquoi, mais en ce moment je me mis à penser au pont d’Arcole, dont j’avais vu tant de gravures, avec le grenadier qui tombe les bras en avant. Mon cœur se mit à battre. Je serrai nerveusement la crosse de mon fusil. J’avais un peu peur. Par combien d’obus et par quels milliers de balles n’allions-nous pas être accueillis sur ce tablier ouvert à tous les vents ! Je me voyais déjà faisant la culbute comme le soldat de la gravure et plongeant dans la rivière. J’ai toujours admiré ceux qui parlent de leur indifférence en pareille occasion ; mais est-elle aussi magnifique qu’ils le racontent ? Quant