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favoriser les savans primesautiers qui ne sauraient tolérer un joug quelconque, et à qui souvent les ressources matérielles font complètement défaut. Aussi parmi ces hommes qui voudraient vérifier par l’expérience les idées que leur suggère une incessante méditation, beaucoup doivent y renoncer faute de moyens d’action.

Il semble donc qu’indépendamment des jeunes savans guidés, conseillés et contrôlés dans les écoles pratiques, il conviendrait de songer à ces hommes d’une trempe spéciale, impatiens de l’autorité, qui sont à eux-mêmes leur propre lumière, à qui la liberté plénière est indispensable. Il faut leur donner les moyens d’exercer leur activité; l’état devrait leur assurer le matériel de l’investigation. Pour faire de ce rêve une réalité, pour inaugurer ce système libéral de protection, la première condition à remplir est d’augmenter le budget de l’enseignement supérieur. C’est le seul moyen de donner de l’extension aux laboratoires, d’encourager largement les recherches scientifiques et d’assister ceux qui se distinguent par une originalité exceptionnelle. Toutefois l’expérience ne joue pas un rôle exclusif dans l’avancement des sciences. C’est pour cette raison que la France a pu, malgré son infériorité sous le rapport des moyens matériels, tenir constamment la tête du mouvement scientifique. Primesautier et clairvoyant, le génie de notre nation a plus fait dans les sciences que le génie des autres races n’obtenait de l’emploi de précieuses qualités, telles que la patience et l’obstination aidées d’un outillage supérieur. Faisant jaillir non pas plus d’idées peut-être, mais plus d’idées justes et lucides, l’esprit français a toujours initié et conduit les intelligences étrangères dans les voies nouvelles. Il a été l’universel initiateur. Un prompt sentiment de l’ordre et du vrai, une merveilleuse intuition de la réalité et en même temps un grand art d’abstraire, voilà ce qui le dispense souvent de l’effort d’une expérimentation longue et dispendieuse, voilà aussi le secret de la prééminence dont, malgré son caprice et son humeur mobile, il a gardé le sceptre. — « J’honorais vos travaux, ils me paraissaient grands, disait naguère un savant étranger en sortant d’un laboratoire de Paris; maintenant que je connais les ressources matérielles dont vous disposez, je les admire. » — Ce savant a raison. S’il faut réaliser des économies, que du moins les intérêts de la science n’en souffrent pas. Le mot sacrifice ne doit point être prononcé ici. Lorsqu’il s’agit de dispenses nécessaires pour relever le niveau des hautes études et répandre l’esprit scientifique, toute économie serait mal entendue.


FERNAND PAPILLON.