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plus grande. Sauf un petit nombre d’accidens, ce système a rempli son objet et justifié ce que M. Krupp attendait de ses effets.

Mais ces gros canons de siège n’ont été, dans les succès de notre ennemi, qu’un instrument secondaire, et il n’y aurait pas lieu d’y insister, si, sur les quatre mille canons conjurés pour notre ruine, la Prusse avait dû se contenter de ceux-là. À l’œuvre, ils se sont montrés plus bruyans que redoutables. Sous leurs coups, tous les sièges ont langui, et, sauf à Héricourt, où le corps badois du général Werder fit quelques emprunts de gros calibres aux tranchées de Belfort, ils n’ont figuré dans aucun engagement décisif. On ne les a vus ni aux journées de Forbach et de Wissembourg, ni dans les combats autour de Metz, ni dans le cercle de feu qui, à Sedan, enveloppa une armée entière. Devant Paris, ces gros canons n’ont pu ni réduire un fort, ni ouvrir une brèche dans le mur d’enceinte ; ils ont troué, mutilé les habitations sans faire fléchir les habitans, ils ont fait en pure perte et sans profit pour ceux qui les déchaînaient contre des populations inoffensives une lamentable besogne. Ce n’est donc pas là qu’il faut chercher ni un grand effet produit, ni une vraie cause de supériorité ; c’est dans les pièces de campagne de 6, de 8 et de 12, se chargeant également par la culasse. Voilà le type par excellence, simple et puissant à la fois, et dont les bons services ne se sont démentis ni un jour ni une heure. Tout le monde a pu les voir, les juger, ces batteries si promptes, si simples à la manœuvre, dont la portée est si grande, dont les coups sont si sûrs. Elles dominent toute cette guerre ; partout on les voit arriver à temps pour décider ou pour rétablir le combat, elles ont presque toujours le dernier mot.

Que de batailles se sont en effet succédé, dans ces calamiteuses campagnes, sans que les circonstances et l’issue en aient sensiblement varié ! On eût dit un programme inflexible. Des armées cernées mettaient bas les armes, d’autres capitulaient faute de vivres ou de munitions. Dans les engagemens partiels, même fatalité : le premier élan nous servait presque toujours, nos fusils frappaient l’ennemi à des distances qui ne lui permettaient pas la riposte, nos mitrailleuses balayaient l’espace, l’avantage nous restait donc pour les feux de mousqueterie, et l’arme blanche ne nous trahissait guère dans les luttes corps à corps. En avant ! disait-on, et une certaine ivresse circulait dans les rangs, comme cela arrive quand on croit la partie gagnée. Hélas ! c’était le moment d’un retour de fortune. Dans une sorte de changement à vue, le rideau de fusiliers qu’on avait devant soi s’effaçait et cédait la place à d’autres champions. L’artillerie de campagne entrait en jeu ; elle détachait batterie sur batterie et enveloppait nos soldats dans une tempête de mitraille. Pas de trêve, la consigne n’en permettait point, et elle partait d’un