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pas moins, faute d’air et d’espace pour se mouvoir. La France est en république maintenant, mais il n’y a rien de changé, sauf que la presse, les réunions, les transactions commerciales, les communications postales, les échanges internationaux, seront soumis à des entraves nouvelles.

L’une des plus grandes fautes de la révolution a été la destruction des assemblées provinciales, et je doute que la France arrive jamais à posséder la vraie liberté, si elle ne les rétablit pas. M. de Lavergne a raconté ici même, en traits qu’on n’oublie point, le réveil de ces corps politiques si longtemps engourdis. Quel magnifique spectacle! Partout des réunions d’hommes éclairés, sensés, dévoués à leur pays, enflammés d’une sainte ardeur pour la justice, pour l’amélioration du sort de tous les peuples, pour le progrès sous toutes ses formes, occupés à la fois des intérêts de l’humanité entière et de ceux de leur localité ! Quand toute résistance était déjà brisée, les assemblées provinciales n’avaient point cessé de lutter contre l’arbitraire de la royauté. Elles avaient parfois combattu pour conserver des privilèges peu justifiables; mais l’esprit du XVIIIe siècle les pénétrait, et, si elles avaient continué à vivre, elles l’auraient appliqué en des réformes durables. Le parti radical rêve toujours, comme moyen de progrès, un pouvoir illimité mis aux mains des représentans de la bonne cause. Malheureusement, l’expérience l’a prouvé, le progrès ne peut s’accomplir ainsi, et ce pouvoir illimité finit toujours par tomber aux mains d’un usurpateur. Ce qu’il faut au contraire, c’est multiplier les corps indépendans capables de résistance, et ensuite convertir ces corps aux idées nouvelles. C’est ce que les républicains espagnols, dont M. Castelar est l’éloquent organe, ont bien compris; ils repoussent la république unitaire, et demandent la république fédérale. En Hongrie, le parti radical défend l’autonomie des comitats. C’est en effet grâce à l’indépendance des comitats que la Hongrie est parvenue à défendre ses libertés contre tous les assauts du despotisme dans une lutte héroïque de deux siècles. Les républicains allemands sont aussi « particularistes, » c’est-à-dire que, tout en voulant unifier l’Allemagne en une seule république, ils demandent que les états particuliers conservent une indépendance aussi grande que celle dont jouissent les états de l’Union américaine. Les républicains français, avec leur fanatisme d’unité et leur opposition au système des autonomies locales, sont seuls, parmi leurs coreligionnaires, à marcher dans cette voie, et ils sont en contradiction avec leurs propres principes; c’est un triste legs de leurs aïeux de la révolution.

C’est à tort aussi qu’ils se défient des campagnes et attendent tout des villes. Les populations urbaines ne sont que révolution-