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avaient réclamé ses premiers soins, et la mort l’avait surpris au milieu de projets grandioses, mais à peine ébauchés. L’empereur le remplaça par un homme froid, profondément honnête et qu’une longue expérience avait mis au courant de toutes les parties de notre service. L’amiral Hamelin a laissé une trace féconde de son passage aux affaires. On n’eût pu à coup sûr appeler l’ancien commandant en chef de l’escadre de Crimée un novateur ; mais, à l’heure où le département de la marine fut remis en ses mains, tout ministre, quelque circonspect et prudent qu’il pût être, était tenu d’innover. L’ancienne constitution de notre établissement naval n’était plus d’accord avec les conditions dans lesquelles allait se développer une marine qui n’avait que de rares analogies avec la marine du passé. L’âge de fer avait succédé à l’âge du bois et du chanvre. Le premier monument qu’on édifiait autrefois dans un port était une corderie ; aujourd’hui on commence par y établir des forges et des ateliers d’ajustage. Ce sont des machines qui taillent, qui percent et qui rabotent. Quand le navire est à flot, ce sont encore des machines qui le conduisent. La force musculaire de l’homme, son agilité, sont moins souvent en action que son intelligence. En somme, la marine, personnel et matériel, était une œuvre à reprendre jusque dans ses fondemens. Il est à regretter qu’on ne l’ait pas compris, et qu’au lieu d’un travail d’ensemble on n’ait voulu entreprendre que des révisions successives et partielles. Cependant, de toutes ces élucubrations auxquelles il me fut donné de prendre une part assez active, il sortit une réforme générale dont je me bornerai à esquisser les principaux traits.

Le matériel naval fut d’abord divisé en trois catégories : la flotte à voiles, destinée à disparaître dans un temps assez court ; la flotte transformée, matériel de transition qu’on se proposait d’entretenir sans le renouveler ; enfin la flotte de l’avenir, dont le chiffre fut fixé à 150 bâtimens de combat. De ces 150 navires, 40 devaient être des vaisseaux de ligne ou des unités équivalentes. C’était là un programme très sérieux et qui tendait à placer nos forces navales sur un pied des plus respectables. Un crédit de 292 millions réparti en quatorze annuités fut alloué au ministre pour le réaliser. Ce crédit était tout à fait indépendant des 150 millions du budget normal. Malheureusement une portion notable devait en être absorbée par la construction de navires dont l’existence parasite menaçait de se développer aux dépens de la substance même de notre flotte de guerre. Les vaisseaux transformés n’avaient pas suffi aux partisans des transports militaires ; il leur avait fallu toute une flotte spéciale, capable de recevoir à un jour donné 40,000 hommes,