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d’autres temps. L’ambassade de Tchoung-hou ne mérite que d’être tenue à l’écart. Quand même ce personnage se disculperait des graves soupçons qui pèsent sur lui, c’est en Chine, à Tien-tsin, sur le lieu même de l’attentat, en présence de la foule qui a été complice, que la réparation doit être accordée; autrement le peuple n’en saura rien, et les mandarins n’en tiendront aucun compte. Jusqu’au jour de cette réparation, dont le succès est plus que douteux, les autorités chinoises ont lieu d’être satisfaites de leur complot du mois de juin 1870 : elles ont eu le bon sens de ne s’attaquer qu’à une seule nation à la fois; cela leur a réussi. Comme on devait s’y attendre, elles ne s’en tiennent point à ce premier succès, s’il faut ajouter créance aux nouvelles graves que les derniers courriers ont apportées. D’après un document de Shang-haï en date du 12 avril, le gouvernement chinois aurait adressé aux ministres étrangers une dépêche demandant l’abolition des écoles de jeunes filles et l’interdiction de tout enseignement contraire aux doctrines de Confucius. Les missionnaires seraient dorénavant traités comme sujets chinois, à l’exception de ceux qui résident dans les ports ouverts aux Européens. Il serait interdit aux femmes d’assister au service divin, et, en cas de nouveaux massacres, les victimes n’auraient aucun droit à indemnité; les assassins seraient seulement passibles des peines édictées par la loi chinoise. Ceci n’ajoute pas un centime aux tarifs douaniers de l’opium ou de la soie ; mais qui peut dire à quel point ces restrictions, si elles se réalisaient, ébranleraient la situation des Européens en Chine!

A notre avis, la conduite de la France en cette conjoncture doit être franche et nette. Les événemens nous condamnent pendant quelque temps à une politique d’abstention; sachons en prendre résolument notre parti, et commençons par la Chine. Qu’avons-nous de particulier à protéger dans cette région lointaine? Des missionnaires et deux ou trois maisons de commerce. Nous n’avons guère à nous inquiéter de ces dernières, car leurs grands établissemens situés à Shang-haï, à Hong-kong, partageront le sort des établissemens britanniques. Les Suisses et les Allemands font au moins autant d’affaires que nos nationaux sans avoir des consuls dans tous les ports et des flottilles de canonnières sur tous les fleuves ; imitons-les. Quant aux missionnaires, nous ne leur ferons pas l’injure de croire qu’ils ne peuvent marcher qu’à l’ombre du pavillon français. Les jésuites, qui parcoururent la Chine entière au XVIIIe siècle et qui en ont dressé la carte la plus exacte que l’on en possède encore, n’avaient d’autre défense que leur bréviaire. Ils ont voyagé, il y a vingt-cinq ans, du littoral aux montagnes du Thibet sans réclamer l’appui d’un consul ou d’un bateau à vapeur.