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cathisma. Ce palais de la tribune, comme on le voit, était une espèce de bastion du grand palais, une position avancée, mais non hasardée ; élevé de plusieurs étages au-dessus du niveau de l’arène, l’empereur se trouvait au milieu de son peuple, mais non à sa merci. Sa loge impériale, portée sur de hautes colonnes comme sur des pilotis, bravait les flots et les tempêtes populaires ; de l’hippodrome, on ne pouvait y monter, le prudent architecte avait supprimé de ce côté tout escalier. Quand le peuple ameuté commençait à lancer des pierres, le prince n’avait qu’à rentrer dans sa grande enceinte fortifiée, et la rage populaire venait se briser contre les remparts crénelés et les portes d’airain.

Le palais de la tribune se composait d’un triclinium où l’empereur, dans l’intervalle des jeux, invitait parfois à dîner ses grands dignitaires, d’un cubiculum où, loin des regards profanes, assisté de ses seuls eunuques, il procédait aux nombreux changemens de costume que lui prescrivait le cérémonial compliqué de Byzance, enfin de la loge proprement dite où il siégeait sur son trone comme autrefois les consuls et les édiles romains sur leurs chaises curules. Debout autour de lui, on voyait une nuée d’eunuques, les uns avec l’éventail, les autres avec le glaive d’or à la main ; à droite et à gauche, dans d’autres loges, les grands dignitaires de l’empire. De ces loges, on descendait sur une terrasse en saillie sur l’arène et fort élevée au-dessus du sol, elle avait la forme et portait le nom de la lettre grecque pi. C’est là que stationnaient les gardes impériaux avec les étendards de leurs corps.

Tandis qu’au palais de la tribune « l’autocrate des Romains » recevait les complimens, les génuflexions, les prosternations de ses dignitaires, et que le grand-maître des cérémonies les introduisait tour à tour, suivant leurs grades de noblesse, espacés comme les grades du tchin moscovite, — l’impératrice tenait sa cour d’un autre côté. C’était exclusivement une cour de dames, car la pruderie des orthodoxes byzantins n’admettait pas cette fréquentation des deux sexes qui a valu aux cours de François Ier et de Louis XIV un si grand renom de galanterie. La cour de l’empereur de Constantinople, pour la rigueur de son étiquette, pour la sévérité de son cérémonial, était un Versailles, mais un Versailles à la turque, un Versailles sans femmes. L’impératrice était assise sur un trône d’or, revêtue d’étoiles brochées d’or et d’une roideur métallique, parée d’une sorte de manteau pontifical qui rappelait la chasuble des prêtres grecs, la tête ceinte d’une couronne enrichie de pierreries et garnie de pendeloques, qui venaient battre ses deux joues, tombaient sur son sein, et, se rejoignant sous son menton, faisaient à son visage un encadrement d’or et de diamans. Elle était immobile, muette, impassible, parée et enchâssée d’or comme une idole