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l’augusta, il fallait qu’elle y assistât « invisible et présente. » Les matrones de la Rome byzantine, sous l’influence chaque jour plus décisive des idées orientales, n’avaient plus la liberté d’allure des matrones romaines d’Occident. Le gynécée de l’ancienne Grèce, plus fermé déjà et plus jaloux que la maison du pater familias latin, tournait alors au harem asiatique. Or il y avait entre le grand palais impérial et le palais de la tribune une église dont les catéchuménies donnaient sur l’hippodrome ; c’était celle de Saint-Etienne, bâtie par Constantin. Les galeries et les fenêtres du sanctuaire servaient donc à l’impératrice de baignoires ou de loges grillées, et l’église devenait une dépendance du théâtre.

Nous avons vu les places privilégiées où s’asseyaient les grands de l’empire, l’autocratôr et l’augusta, les membres de la sacro-sainte hiérarchie, les fonctionnaires et les généraux slaves ou turcs, bulgares ou khazars, arabes ou perses, qui formaient l’aristocratie du monde néo-hellénique ; passons aux places réservées à cette multitude presque cosmopolite qui s’intitulait encore « le peuple romain. » Comme rien n’était trop beau pour lui, les gradins où il l’asseyait étaient de marbre blanc ; dans la décadence et la ruine de l’hippodrome, la masse énorme de ces gradins devint une sorte de carrière d’où les architectes ottomans tiraient les blocs de marbre pour la construction des sérails et des mosquées. La partie en hémicycle de ces gradins, la partie curviligne opposée au palais de la tribune impériale, s’appelait d’un nom assez pittoresque, la fronde ou la coupe. Des gradins, on pouvait descendre dans l’arène au moyen de couloirs ; mais ces couloirs se terminaient à l’extrémité inférieure par des balustrades ou des portes grillées ; on ne pouvait permettre en effet à des spectateurs aussi impressionnables, aussi irritables que ces méridionaux de l’Orient, de descendre à volonté sur l’arène. Un partisan enragé des verts était capable de tout pour empêcher un cocher bleu d’arriver le premier. Primitivement il y avait eu le long de ces balustrades un assez large fossé rempli d’eau, une espèce de petit fleuve circulant tout autour de l’hippodrome, qu’on appelait l’Euripe, et qui, dans les idées de la Rome païenne, était consacré au dieu Océan. En effet, comme l’Océan, il entourait complètement la terre sèche. Il servait à protéger les spectateurs contre les bonds des animaux féroces qu’on exposait parfois dans l’arène ; il servait aussi à préserver la piste des envahissemens de la multitude ; enfin, de temps à autre, on y faisait au peuple romain des exhibitions de phoques, de crocodiles ou d’hippopotames. Quand l’empire appauvri n’eut plus le moyen de faire venir des lions d’Afrique et des amphibies d’Egypte, l’Euripe disparut ; le nom seul en subsista, et ne fit i)lus que désigner la portion de l’arène la plus rapprochée des gradins, celle où se te-